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vous les laissez ensemble au piano, à la promenade, au théâtre, et vous ne voulez pas qu’ils s’aiment !

— Eh bien ! je les sépare aujourd’hui, afin qu’ils ne s’aiment plus.

— Prenez garde, marquise, nous ne sommes pas à Paris, où il suffit de mener une jeune fille au bal pour changer le cours de ses idées. C’est du sang italien qui coule dans les veines d’Erminia. Si vous mettez cette belle plante au régime des climats froids, vous la perdrez.

— En sorte, répondit la marquise, qu’on a eu raison d’abuser de ma confiance, parce que n’ai pas de goût pour le métier de cerbère ; mais je vous prouverai que je ne renonce point à l’exercice de mon autorité.

En parlant ainsi, la marquise tira violemment le cordon de la sonnette. La camériste reçut l’ordre d’aller chercher mademoiselle. Erminia, qui s’attendait à un interrogatoire, avait préparé ses moyens de défense.

— Approchez, lui dit sa mère. Le chevalier assure que, vous avez pris des engagemens avec Remigio.

— Il vous a dit la vérité, madame, répondit Erminia.

— Et moi je vous déclare que je trouve cet amour ridicule et les » prétentions de Remigio impertinentes. Mettez-vous cela dans l’esprit, et qu’il n’en soit plus question. Je vous défends de penser, à ce jeune homme.

— Il m’est impossible de vous obéir, dit la jeune fille résolument ; je penserai à Remigio parce que je l’aime, et je l’aimerai parce que je ne pourrai m’en défendre.

— C’est ce que nous verrons, reprit la mère, je lui donnerai son congé à ce petit monsieur, que vous ne pouvez vous défendre d’aimer.

À ces mots, deux grosses larmes jaillirent des yeux d’Erminia. Sa poitrine se gonfla, et ses lèvres tremblèrent convulsivement ; mais c’est dans nos régions boréales que l’émotion et les pleurs ont le pouvoir d’éteindre la voix et d’arrêter la marche du discours : en Italie au contraire, ils deviennent les plus précieux auxiliaires de l’éloquence, en lui prêtant l’accent sublime et le feu sacré de la passion.

— Ah ! madame, s’écria Erminia, ne chassez pas Remigio de cette maison, je vous en supplie ! Ne savez-vous pas que je ne puis l’épouser malgré vous ? Souffrez au moins que je le voie. Je ne vivrai pas séparée d’une personne que j’aime. Oh ! non, madame ; -il ne faut pas y compter, car déjà je ne suis plus maîtresse de moi, et je sens ma tête qui s’égare.