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aux romantiques de la restauration, à Zacharias Werner et à Henri de Kleist. Zacharias Werner, qui a terminé sa vie dans les extravagances du mysticisme, n’obéissait pas à une inspiration plus lugubre quand il écrivait le 24 Février, et ce malheureux Henri de Kleist, qui a fini par demander au suicide, la guérison de ses tortures morales, était-il plus désolé, que M. Ludwig, lorsqu’il racontait l’effrayante histoire intitulée Michel Kohlhaas ? M. Ludwig est-il délivré enfin de sa misanthropie ? Nous aimons à le croire. Le roman, dont je viens de parler est dédié à M. Berthold Auerbach, à cet artiste franc et net qui connaît le prix de la vie, qui prêche sous maintes formes la sérénité de l’esprit, la joie de la vertu et la confiance dans les lois morales de l’univers. Cette dédicace est comme un gage d’affranchissement spirituel. Si M. Ludwig n’avait pas couronné son œuvre par la scène que je viens de traduire, il n’aurait pas eu l’idée d’en faire hommage à l’auteur des Histoires de Village et de l’Ecrin du Compère. Qu’il s’affermisse dans cette voie. Débarrassée des obsessions du doute, son imagination déploiera une vigueur nouvelle, une vigueur saine et féconde, et le talent qui lui servait jadis à désoler ses lecteurs guérira les blessures qu’il a faites.

La mission de l’art n’est pas d’effrayer et de désenchanter les âmes. Un poète allemand a dit : « La vie est triste, l’art est serein. » Disons mieux encore : La vie est bonne et belle pour qui l’interroge en chrétien, en philosophe et en poète. Il faut montrer que le mal, en fin de compte, ne triomphe jamais, que la douleur même est un bien et que la vertu en profite ; il faut montrer que le monde est beau malgré les méchans et les lâches. Pourquoi M. Ludwig ne s’est-il pas souvenu de ce rôle de la poésie en terminant son récit ? Apollonius, dans cette partie du roman, n’est pas suffisamment guéri de ses terreurs, il ne jouit pas assez des victoires de sa vertu, sa conscience le tourmente encore, et il n’ose épouser Christiane. Je regrette cette fin du récit, je regrette surtout la morale métaphysique et fort peu intelligible que l’auteur a tirée de son roman. M. Ludwig intitule ce livre Entre le Ciel et la Terre, parce que les principales scènes se passent sur le toit de l’église Saint-George, dans le domaine du couvreur, comme il dit ; — puis tout à coup, à la dernière page, faisant de ces mots un symbole philosophique, il recommande à l’homme de vivre aussi entre le ciel et la terre, c’est-à-dire de ne pas aspirer au ciel, car le ciel n’existe pas hors de nous, et ce que nous appelons de ce nom n’est que la félicité d’une conscience pure. Je crois qu’en traduisant ainsi, je donne à la pensée de M. Ludwig une précision qu’elle n’a pas ; si j’ai bien compris pourtant ses mystérieuses paroles, M. Ludwig aurait passé bien vite d’un extrême à l’autre. Naguère, encore il maudissait la terre et l’existence d’ici-