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plus d’une intention dont le bonhomme se serait étonné à bon droit, L’historien de maître Renard et de maître Corbeau, dont personne n’a jamais contesté la pénétration, s’il revenait parmi nous, s’il lui était donné de lire la thèse de M. Taine, dirait sans doute en achevant la dernière page : Vraiment, je ne croyais pas avoir tant d’esprit. J’ai mis en vers les apologues d’Ésope réunis par Planude ; j’ai fait de mon mieux cette besogne, qui ne me semblait pas inutile, J’étais à mon insu historien, homme d’état, J’apprends que les ducs et les marquis de Versailles ont posé devant moi ; je croyais n’avoir étudié qu’Ésope et développé ses pensées en y ajoutant quelques-uns de mes souvenirs. Je ne me connaissais pas, et désormais j’aurai pour moi plus de respect. — Peut-être même aurait-il la fantaisie de s’entretenir avec son nouveau commentateur.

De Saint-Simon à La Fontaine, l’intervalle est difficile à franchir, quoiqu’on trouve entre ces deux écrivains quelques traits de parenté. De La Bruyère à La Fontaine, la distance n’est pas moins grande, car l’auteur des Caractères se plaît à renfermer sa pensée dans un petit nombre de paroles, et laisse beaucoup à deviner. Il aime à susciter dans l’esprit du lecteur les idées qu’il ne lui convient pas d’exprimer, ou qu’il ne juge pas prudent d’exprimer complètement, La Fontaine procède autrement ; s’il ne dit pas tout ce qu’il pense, il a toujours l’air de le dire. Il ne s’interdit pas les développemens ; il ne s’adresse pas à un cercle choisi, il s’adresse à la foule. S’il est concis, ce n’est pas pour paraître profond, c’est qu’il dédaigne les paroles inutiles. Il écrit pour se contenter presque autant que pour plaire. Il n’est pas de la famille de La Bruyère. Il lui arrive de dire on vers tantôt ingénus, tantôt malins, ce que Mme de Sévigné dit sur un autre ton, et cependant entre la marquise et le bonhomme toute comparaison semble difficile. M. Taine simplifie la tâche qu’il s’est imposée en disposant les citations qu’il prodigue de façon à leur donner ; le sens dont il à besoin. Sans altérer une parole, il trouve moyen de transformer en témoins complaisans, j’allais dire en compères dociles, Saint-Simon et La Bruyère, Quant à Mme de Sévigné, il lui emprunte des traits que le lecteur peut interpréter à sa guise, et qui sont aussi bien placés dans la bouche d’un courtisan que dans la bouche d’un poète satirique, Comme il connaît familièrement tous les contemporains de La Fontaine, quand il lui plaît d’affirmer ce qui ressemble à un paradoxe, les témoignages ne lui manquent jamais. Entre ses souvenirs, il n’a que l’embarras du choix. Il étend la main et prend sur un rayon de sa bibliothèque le volume où se trouve l’argument victorieux. Il a trop bonne mémoire pour jamais rester court. Je rends pleine justice à la dextérité de ses manœuvres, et cependant trois fois sur quatre je ne suis pas de son avis. Chercher dans les fables de La Fontaine l’image de la