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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/76

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avait traversé le pont et cherchait Herblay des yeux. À mi-côte, un chien courut à sa rencontre, et faillit le jeter par terre en sautant sur lui. C’était Tambour qui aboyait de toutes ses forces. Il faisait mille bonds en tournant autour de son maître. Ils arrivèrent ainsi à la petite maison d’Herblay. La porte était entr’ouverte ; Tambour la poussa, et Georges le suivit jusque dans le petit salon où Mme Rose l’avait reçu une première fois. Un jeune homme était assis dans un fauteuil auprès de la fenêtre. Il lisait un journal. À la vue de Georges, il se leva et salua. Georges remarqua qu’il avait des moustaches noires.

« C’est donc vrai ! » pensa-t-il.

Tambour, qui ne se tenait pas de joie, allait et venait par la chambre ; après chaque tour, il frottait son museau contre la main pendante de Georges. Les deux jeunes gens se regardaient. Un demi-sourire passa sur les lèvres de l’inconnu.

« À la pantomime de ce chien, je vois bien que vous êtes son maître ; veuillez vous asseoir, monsieur, je vous prie, » dit-il avec la plus grande politesse.

Comme Georges appuyait sa main sur le dos d’un fauteuil sans répondre, la porte du salon s’ouvrit de nouveau, et Mme Rose parut. Elle était un peu plus pâle qu’au temps où Georges l’avait quittée. À son aspect, elle eut comme un léger tressaillement ; mais, se remettant presque aussitôt :

« M. Georges de Francalin, dont je vous ai parlé quelquefois, » dit-elle en se tournant vers le jeune homme aux moustaches noires.

Et désignant celui-ci à Georges :

« M. le comte Olivier de Réthel, mon mari, » ajouta-t-elle.

VI

La présence de M. Olivier de Réthel, ce mari qui mettait à néant toutes les espérances de M. de Francalin, lui fit cependant éprouver comme un sentiment de joie. Mme Rose ne perdait rien de cette auréole dont il l’avait entourée, et restait telle qu’il l’avait aimée. Georges ne pensa pas une minute à repartir pour Paris. Si douloureuse que lui fût la vue d’un étranger qui avait tous les droits d’un maître dans cette maison où si longtemps il avait été seul, qu’était-ce en comparaison de ce qu’il avait craint ? Tout cédait devant cette pensée rafraîchissante qu’il pouvait aimer Mme Rose sans rougir. Chez certaines âmes délicatement douées ou élevées à un niveau supérieur par de grandes passions, la connaissance d’un malheur irréparable cause moins de souffrances que la perte d’une de ces croyances dont les racines sont au cœur. Georges, que M. Olivier de Réthel retint à déjeuner avec une parfaite aisance, rentra chez lui,