Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/78

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— Ah ! je fais mieux, je vous en prie !… Il me semble que j’aurai moins à craindre auprès de vous, à présent que vous connaissez la vérité.

— Eh bien ! parlez-moi de M. de Réthel.

— Vous savez quel rôle il a joué pendant la dernière révolution, et quelle place il tient dans le parti qui s’agite toujours. Le repos est insupportable à un tempérament aussi terrible. Toutes les agitations dans lesquelles il m’a fait vivre chez lui ont été la cause de notre séparation, il s’y replongea fatalement ; son passé engage son avenir. Il était à Paris dans ces derniers temps ; souvent il m’écrivait, et vous n’avez certainement pas oublié l’état dans lequel me mettaient ces lettres, dont l’origine vous était inconnue. Pouvais-je m’éloigner, quand tous les jours il était en péril de mort ?… Je suis sa femme, et je n’ai pas à le juger. Vous savez cependant comment j’oubliais tout…. Quelquefois je me berçais de l’illusion que cette vie, dont j’avais contracté la douce habitude à Herblay, pourrait durer. Tout à coup une lettre nouvelle m’arriva au moment où je venais de trouver sur ma fenêtre un bouquet laissé par vous après un jour passé sans vous voir. M. de Réthel m’appelait à Paris pour me prévenir que peut-être il serait contraint de me demander asile au premier moment. « Si vous êtes menacé, venez, » lui dis-je. Je compris alors qu’il fallait cesser de vous voir, c’est pourquoi je vous pressai de partir. Je n’avais rien à me reprocher, mais j’avais peur de votre désespoir. Un soir, il y a de cela huit jours, M. de Réthel a frappé à ma porte. Il ne m’a plus quittée depuis ce moment. Deux ou trois personnes sont venues le trouver. Il reçoit beaucoup de lettres, et il a l’air très-préoccupé. Quelque chose se prépare que je ne connais pas. Il m’a déjà prévenue qu’il me quitterait un de ces jours, tout à coup…. Ce qu’il projette me fait peur. Olivier s’agite dans un enfer ! Il y a des heures où je le plains amèrement. »

Mme Rose détourna la tête pour essuyer ses yeux. Son émotion était visible et Georges la comprenait. Le nom de M. Olivier de Réthel avait suffi pour expliquer à Georges la situation de Mme Rose. Le comte était l’un des chefs reconnus d’une des fractions militantes de la démocratie. Issu d’une famille d’ancienne noblesse, Olivier avait rompu avec son passé et brisé, un à un, tous les liens de la tradition, de l’habitude, de l’éducation. Patricien, il combattait avec la plèbe ; fils d’un pair de France, il était l’un des instruments les plus actifs des sociétés secrètes. Il avait d’incontestables qualités qui mettaient sa personnalité en relief, un certain talent de parole, une grande bravoure, de l’audace ; le prestige de son nom lui donnait en outre un éclat et une autorité qu’à mérite égal ses amis n’avaient pas. Seulement le tribun était resté gentilhomme, et, s’il touchait la