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ardeur, et les vieilles non moins que les jeunes. C’est là un travers qui ne se rencontre pas seulement dans les maisons de fous.

On a quelquefois exagéré les apparences de raison que présentent les aliénés, et j’ai lu quelque part le récit d’un bal où l’auteur raconte avoir passé la moitié de la nuit sans se douter qu’il avait causé avec des fous et dansé avec des folles. J’avoue que pour le bal modeste auquel j’ai assisté, il eût été difficile de se faire illusion. Sans doute il est remarquable que l’on puisse donner un divertissement de ce genre à une centaine de malheureux aliénés sans qu’il en résulte le moindre désordre, et certainement avec moins de confusion qu’il n’y en a d’ordinaire dans ces sortes de réunions : c’est là le résultat d’une bonne discipline ; mais certains signes indiquent assez que vous n’êtes pas dans un milieu raisonnable. Ce n’est pas le désordre, c’est la tristesse ; ce n’est pas l’extravagance, c’est le silence. La contraction, de la physionomie, un certain désaccord dans les vêtemens, la monotonie des mouvemens, beaucoup désignes extérieurs trahissent le désordre de la pensée, et ne permettent guère de se méprendre. Néanmoins c’est un exercice utile à la santé, une distraction pour l’imagination, et même une épreuve pour l’intelligence, car la coordination des mouvemens avec le son de l’orchestre exige une certaine attention et un certain discernement.

De toutes les distractions, la plus puissante sans aucun doute et la plus extraordinaire, c’est la comédie, non pas une comédie lue ou représentée par des acteurs étrangers, mais jouée par les aliénés eux-mêmes devant les aliénés. On ne croirait pas sans doute qu’une telle chose fût possible, si l’on n’en avait fait plusieurs fois l’expérience. À Stéphansfeld, on a déjà donné quinze représentations théâtrales, au grand plaisir de la population tout entière. Je dois dire que l’illustre, Esquirol, dans son traité des Maladies mentales, se montre très opposé à ce genre de divertissement ; mais sa critique s’adresse plutôt à l’abus qu’à l’usage. Il cite, sans le nommer, un directeur de Charenton qui, plus curieux de faire du bruit que d’améliorer véritablement l’état des malades, avait établi une salle de spectacle où jouaient des aliénés, et où toute la société de Paris était invitée. Il est évident qu’un théâtre, le grand éclat des lumières et des costumes, l’affluence du monde, le mélange des sexes, une ridicule ostentation de toilette, des applaudissemens, des rires, un assemblage irritant enfin, dangereux même quelquefois pour une raison saine, devait être un véritable poison pour des raisons égarées : il s’ensuivit des faits déplorables et faciles à prévoir. Faut-il en conclure que des représentations à huis clos, sans bruit, sans autre public que les aliénés eux-mêmes et un très petit nombre de personnes sérieuses, les sexes étant rigoureusement séparés, les