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efforts extrêmes, prolongés pendant plusieurs semaines, et de cette tension d’esprit qui les poursuivait jusque dans leur sommeil ; néanmoins cet état de prostration ne tarde pas à disparaître, et pendant longtemps le théâtre forme le principal sujet de conversation de ces malades, qui se mettent à répéter ça et là des passages entiers de leurs rôles. »

Résumons-nous. On a vu que les aliénés sont capables d’un travail manuel, industriel ou agricole, qu’ils sont aussi capables de certains travaux intellectuels, qu’ils cultivent volontiers leur mémoire, peuvent faire de la musique, lisent avec plaisir et quelquefois avec passion, qu’ils peuvent soutenir une conversation avec plus ou moins de suite ou de raison, selon leur état, qu’ils ne sont pas insensibles au raisonnement, que la passion peut beaucoup sur eux, que la religion les console, qu’ils se promènent au dehors et en liberté sans danger, sans abus, qu’ils aiment et goûtent les distractions de la société, enfin que la rigueur est rarement nécessaire pour les contenir. Que conclure de ces faits, si ce n’est que l’aliéné conserve quelques-uns des traits essentiels de l’humanité ? Il y a chez lui deux ordres d’habitudes : des habitudes régulières, normales, qui résultent de l’exercice antérieur de la raison, et des habitudes vicieuses, perverties, de fausses associations soit dans les actes, soit dans les pensées, soit dans les sentimens, qui sont les signes de la folie. Tant qu’il y a entre ces deux sortes d’habitudes désaccord, combat et conflit, il y a des chances pour que les premières reprennent le dessus et pour que la folie soit guérie ; lorsqu’au contraire les habitudes premières et les habitudes secondes ont réussi à s’accorder et à former un tout, l’aliénation est définitive, sauf une réaction, qui est toujours possible, et dont il ne faut jamais désespérer.

Le traitement moral consiste à provoquer ce conflit lorsqu’il n’est pas apparent, à le favoriser lorsqu’il existe, à le réveiller lorsqu’il semble avoir disparu. On peut définir le traitement moral une pression constante de la raison sur la déraison. C’est une grande erreur de faire consister le traitement moral dans un ou deux moyens exclusivement employés. Le traitement moral est en quelque sorte une grande entreprise pédagogique ; C’est un vaste système d’éducation, bien plus difficile que l’éducation ordinaire, car celle-ci n’a guère autre chose à faire que de développer des germes naturels ; mais celle-là doit redresser des membres contournés et viciés : c’est une sorte d’orthopédie morale.

Le traitement de la folie repose aujourd’hui sur une solide philosophie. Ecarter de la folie les phénomènes artificiels qui la compliquaient inutilement, et qui résultaient d’un traitement mal entendu, la réduire à ses propres forces, et, dans cet état, se servir