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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/815

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mit à sa place. Malgré sa science, Vyâsa fut dupe de la supercherie, et il annonça à l’esclave la naissance d’un fils doué des plus hautes vertus[1].

Voilà donc trois enfans qui descendent indirectement de la race de Çântanou, mais aucun des trois n’est apte à régner. Le premier, Dhritarâchtra, est né aveugle ; le second, Pândou, paraît avoir été affecté de la lèpre blanche, comme l’indique son nom, qui signifie pâle, blanc[2] ; le troisième, Vidoura, fils d’esclave par sa mère et appartenant aux castes mêlées, ne peut prendre rang parmi les kchattryas ou guerriers : son rôle sera celui d’un conseiller, d’un sage instruit et clairvoyant que l’on consulte sur les affaires de l’état. Entre l’aveugle et le lépreux, la paix et la concorde se maintiennent sans effort ; mais entre leurs fils sains de corps et ardens d’esprit, les querelles ne tarderont pas à surgir. L’aïeul Bhîchma, qui vivait toujours, envoya demander pour son petit-fils Dhritarâchtra la fille du roi de Gândhâra (Kandahar). Celui-ci hésitait à accorder sa fille au prince aveugle ; mais ayant bien pesé la haute naissance, la gloire et la fortune des rois d’Hastinapoura, il accepta l’alliance proposée. Et voyez comme le poète, au lieu de plaindre la jeune fiancée, nous la montre résignée à son sort, et dévouée par avance à l’époux que ses parens ont choisi !

« Or Gandhârî (c’est son nom) apprit que Dhritarâchtra était privé de la vue, et qu’elle devait lui être accordée par son père et par sa mère. — Alors, ayant pris une pièce d’étoffe et l’ayant pliée plusieurs fois, elle en fit un bandeau qu’elle appliqua sur ses yeux, tout occupée des devoirs d’une vertueuse épouse. — Que mon mari n’ait rien à m’envier ! — Telle fut la pensée qui lui fit prendre cette résolution[3]. »

Quel touchant exemple d’abnégation, et aussi quelle terrible leçon donnée aux jeunes filles qui seraient tentées de se prévaloir de leurs avantages vis-à-vis d’un époux disgracié par la nature ! Dhritarâchtra aima beaucoup cette épouse fidèle qui se privait de la vue pour être semblable à lui ; il en eut cent fils, ni plus, ni moins, ce qui donnerait à penser que le couple royal vécut plus d’un siècle sans arriver à la vieillesse[4].

Quant à Pândou, il fut choisi pour époux par Kountî, de la famille

  1. Mahâbhârata, chant de l’Adiparva, lectures 104 et suivantes. Il est dit dans le code des lois de Manou que « lorsqu’il n’y a pas d’enfans dans une famille, la progéniture que l’on désire peut être obtenue par l’union, de l’épouse, dûment autorisée, avec un frère ou un autre parent. » Liv. ix, st 59.
  2. Si on n’admet pas cette supposition, les paroles prononcées avec menace et d’un accent de colère par Vyâsa n’ont plus le sens d’une malédiction.
  3. Mahâbhârata, chant de l’Adiparva, lecture 110, vers 4,375.
  4. La légende, il est vrai, prétend que Gandhâri mit au monde, après une gestation