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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/823

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sa partialité accoutumée. Les fils de Dhritarâchtra, les princes de la branche aînée, ont un droit incontestable à la couronne ; s’ils deviennent jaloux des Pândavas, c’est qu’ils sont témoins des efforts que font les brahmanes pour exciter en faveur de ceux-ci la population de la capitale. Kountî, la veuve de Pândou, la mère des cinq héros, — tous réputés fils de dieux ! — ressemble un peu à la louve qui allaita Romulus et son frère. Quand elle revient à Hastinapoura suivie de ses lionceaux, elle est déjà soutenue par un parti puissant, celui des solitaires et des rêveurs, au milieu desquels les jeunes princes ont grandi. Elle a tous les caractères d’une mère ambitieuse qui attend beaucoup de ses fils, qui espère en eux et les pousse en avant. Les brahmanes sont là derrière et alentour, ils conspirent et préparent les voies. Le roi aveugle, dont l’infirmité semble avoir affaibli la raison, se laisse entraîner par les conseils de Drona, le précepteur de la jeune famille. Il a consenti à partager la royauté avec Youdhichthira, l’aîné des fils de Pândou ; il lui a conféré le titre de youvarâdja (juvenis rex), ou héritier présomptif. À ce coup terrible qui lui est porté par son père, Douryodhana s’émeut ; il cherche à regagner le terrain que lui a fait perdre une intrigue ourdie dans son propre palais. Il envoie vers le vieux roi un brahmane rusé qui sait faire entendre la vérité sous le voile de l’apologue, et aussi insinuer le mensonge. Dhritarâchtra repousse d’abord les discours calomnieux qui tendent à noircir les fils de Pândou. Peu à peu cependant l’oreille du vieil aveugle s’ouvre au récit d’une fable longuement contée, et dont la moralité se résume en ces quelques mots : « Ne méprisons jamais un ennemi, si petit qu’il soit ; une étincelle peut consumer la forêt tout entière avec ceux qui l’habitent : sachons fermer les yeux quand il le faut et aussi prendre un parti décisif… C’est seulement quand on l’a tué que l’ennemi n’est plus à craindre. » La fable n’agit pas tout d’un coup sur l’esprit de Dhritarâchtra, mais par degrés, et bientôt dans le cœur du roi, dont les yeux sont fermés à la lumière, s’éveille la défiance. Épouvanté des pièges qu’il croit voir tendus autour de lui par les princes objets de sa tendresse, il se trouble, il sent le besoin de s’appuyer sur des dévouemens moins douteux. C’est à ses propres fils qu’il revient, heureux d’échapper par ce brusque retour à des dangers imaginaires. L’exil des enfans de Pândou est aussitôt résolu ; ils iront habiter, loin d’Hastinapoura, une petite ville sans nom, située aux bords du Gange.

Le malheur a le privilège d’exciter la sympathie : une fois poursuivis par la haine de Douryodhana, les Pândavas se transforment en chevaliers errans, voués à la destruction des monstres de toute sorte qui infestent le sol de l’Inde ; ils se rapprochent des dieux en s’éloignant des hommes, et leur nom ne périra jamais. La retraite