Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/830

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’or, de l’argent, des vaches et des mets excellens, préparés avec soin. Des mimes, des bardes, des danseurs, des chanteurs aussi, viendront embellir la solennité. Venez donc, jeunes gens, venez avec nous. Et qui sait si votre bonne mine ne fera pas impression sur le cœur de la jeune Draopadî[1] ? » Et les cinq frères arrivèrent ainsi dans la ville, sans se faire connaître. Ils s’établirent, non loin de la résidence royale, chez un potier, vivant d’aumônes, comme il convenait à des novices.

Au jour fixé, les cinq héros entrent dans le cirque, mêlés à la foule des brahmanes. Ce théâtre ressemble à celui dans lequel s’est faite la passe d’armes dont il a été parlé plus haut ; seulement le public est entièrement formé de brahmanes et de rois. Ceux-ci descendent dans l’arène avec impétuosité, à l’envi les uns des autres, empresses de tendre l’arc qu’ils croient courber sans effort ; mais aucun d’eux n’y peut parvenir. Un seul parmi tous ces kchattryas a pu ajuster la corde et y poser la flèche, c’est Karna ; mais Draopadî s’est écriée en le voyant : « Je n’accepte pas le fils du cocher !… » Et Karna, humilié une fois encore, laisse tomber l’arc en levant les yeux vers le soleil, qu’il appelle son père. Les fils de Dhritarâchtra se trouvaient présens, ainsi que des princes du Bengale, du Bérar et de la côte de Coromandel. Toute la noblesse aryenne s’était donné rendez-vous dans ce cirque, où la belle Draopadî, richement vêtue, se proposait elle-même en prix au plus fort et au plus adroit.

« Mais tous ces rois ornés de tiares, de colliers, de bracelets et de ceintures, héros aux gros bras, doués d’énergie et de vertu, fiers de leur force et de leur vigueur, essayant l’un après l’autre, — ne purent, même par la pensée, tendre cet arc qui résiste toujours. Ces rois énergiques, honteusement déjoués par cet arc trop gros et trop dur, — épuisés par tant d’efforts, restaient là sur le sol, sans éclat, dépouillés de leurs tiares et de leurs colliers, hors d’haleine et incapables de rien entreprendre[2]… »

Les rois ayant été mis hors de combat, à son tour Ardjouna se décide à entrer en lice. Trompés par son costume de novice, les brahmanes, qui le prennent pour l’un d’eux, poussent des cris de joie et agitent en l’air les peaux d’antilope qui leur servent de siège. Quelques spectateurs, choqués de la présomption du jeune homme, expriment tout haut la crainte qu’il ne compromette par une vaine tentative la dignité de la caste sacerdotale. Si on allait se moquer des brahmanes !… Et du milieu de l’assemblée il s’élève un chœur de voix qui fait entendre ces paroles :

  1. C’est la fille du roi Droupada ; on l’appelle aussi Krichnâ, la noire.
  2. Chant de l’Adiparva, lect. 187, vers 7,022 et suiv.