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des Hindous, mais encore l’étude des langues parlées dans cette péninsule. En effet, tandis que nous rencontrons au nord de l’Hindoustan des idiomes sortis de la famille sanskrite, nous trouvons plus au sud tout un ensemble de langues qui leur sont absolument étrangères par la grammaire et le vocabulaire. Ces langues, parlées par les tribus qui avaient précédé dans l’Inde les Aryas, appartiennent toutes à la même famille, et on les désigne d’après les Hindous par l’épithète de draviriennes ou dravidiennes. Les langues dravidiennes se subdivisent en deux groupes, le groupe septentrional et le groupe méridional. Le premier renferme les langues parlées par les tribus éparses que les descendans des Aryas ont repoussées dans les monts Vindhyas, à savoir : le male ou radjmahali, l’uraon, le cole et le khond ou gond. Le second comprend le tamoul ou tamil, le télougou ou télinga, appelé encore talinga, — le talava, le malayalam et le carnara ou carnataka. Comme les populations du midi de la presqu’île ont conservé pendant plus de temps leur indépendance nationale, et ont même atteint une civilisation qui leur est propre, on comprend que les idiomes du groupe méridional doivent être beaucoup plus riches et plus développés que ceux du groupe septentrional. Cependant, malgré leur inégalité de développement, toutes ces langues offrent les mêmes caractères. Un autre rameau de la même famille, qui s’étend au nord-est du bassin du Gange, nous indique par sa présence qu’une fraction de la population indigène fut rejetée au nord-est, en sorte qu’il faut admettre que la grande nation dravidienne, coupée dans son centre, fut, comme la population primitive de l’Europe, repoussée aux deux extrémités opposées de son vaste territoire. Le bodo et le dhimal sont les deux principaux représentans de ce groupe séparé du tronc, dont les branches les plus avancées vont se perdre dans l’Assam.

Tous les caractères qui appartiennent aux langues ougro-japonaises se retrouvent dans les langues dravidiennes, dont le dialecte gond peut être considéré comme nous ayant conservé les formes les plus anciennes. Toutes manifestent à un haut degré la tendance à l’agglutination : c’est ce qu’ont montré MM. Logan et Max Müller. La loi d’harmonie que nous venons de rencontrer dans les langues finnoises reparaît ici avec le même caractère. Les fondemens du système grammatical, qui sont identiques dans toutes ces langues, les constituent sans doute à l’état de famille séparée ; mais cette famille est certainement très voisine des idiomes que parlent les Tartares. La philologie comparée nous démontre donc qu’une population de race très voisine de la race tartare, et par conséquent alliée elle-même à la race finnoise, a précédé dans l’Hindoustan[1] la race intelligente qui des bords de l’Euphrate et de l’Indus envoyait un de ses rameaux, sous le nom d’Aryas, vers l’extrême Orient, tandis que l’autre allait peupler l’Europe.

  1. Les débris de la nationalité indienne primitive existent encore ; ils sont distribués dans trois parties distinctes de la presqu’île. Les uns se rencontrent au sud du Mahanuddy jusqu’au cap Comorin : ce sont les Bhiles, les Toudas, les Méras, les Coles, les Gonds ou Khonds, les Sourahs, les Paharias, etc. Les seconds habitent la partie septentrionale vers l’Himalaya : ce sont les Radjis ou Doms et les Brahouis. Les troisièmes occupent l’angle qui sépare les deux presqu’îles de l’Inde, et qui est désigné sous le nom d’Assam, ainsi que la bande montagneuse qui constitue la frontière entre le Bengale et le Thibet. Toutes ces tribus vivent encore aujourd’hui comme elles vivaient il y a bien des siècles ; ce sont des populations agricoles qui défrichent de temps en temps par le feu une partie de la jungle ou de la forêt. Le mot qui rend chez ces peuples l’idée de culture ne signifie rien autre chose qu’abattage de la forêt. Les Aryas au contraire étaient une population pastorale, et, dans l’Inde comme dans bien d’autres contrées, les pasteurs triomphèrent des agriculteurs. Tout annonce d’ailleurs chez les peuples dravidiens une grande douceur de caractère, qui est encore le trait distinctif des Mongols et des populations finnoises.