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pérances ou les mécomptes de l’écrivain que le génie même de la nation. Ils ne tiennent compte que d’un certain ordre de faits, ils exagèrent l’importance des détails, et, nés d’un incident qui, si considérable qu’il soit, est destiné avec le temps à perdre sa couleur propre et à se fondre dans l’océan de faits que contient l’histoire générale, ils ont tous quelque chose d’exclusif, de passionné, d’intolérant. Ils partagent les passions des vivans, ils n’ont pas l’impartialité de la contemplation. C’est à ces passions que nous voudrions nous soustraire un moment pour essayer de surprendre le génie de la France dans son essence même, dans ce qu’il a de fondamental, d’indestructible, de permanent, de supérieur à ses vicissitudes changeantes, d’identique à travers ses innombrables métamorphoses.

La France est le pays le plus facile à juger en apparence, le plus difficile à juger en réalité, et tous les jugemens qu’on a portés sur elle peuvent se ranger sous deux chefs principaux : la France est un pays monarchique, la France est un pays révolutionnaire. — Peuple révolutionnaire ! dit cet historien, qui fait dater la France de 1789, et qui oublie qu’elle a été la plus monarchique des nations ; peuple anti-religieux ! dit un autre, qui oublie que l’église a été soutenue, la papauté fondée par l’épée de la France, et la réforme arrêtée dans son développement par l’obstination de fidélité de la France aux vieilles institutions ecclésiastiques. — Peuple traditionnel, monarchique, et que les querelles malheureuses de soixante années pleines d’orages ont fait faussement juger ! se croient alors en droit de répondre certains publicistes. Hélas ! ce jugement n’est pas mieux fondé que les autres. La vérité est que la France, pays des contradictions, est à fois novatrice avec audace et conservatrice avec entêtement, révolutionnaire et traditionnelle, utopiste et routinière. Il n’est pas de pays où les choses meurent plus vite, il n’en est pas où leur souvenir vive plus longtemps. Oui, c’est un peuple révolutionnaire et traditionnel pour qui sait bien voir : révolutionnaire, parce que les métamorphoses y ont été plus nombreuses qu’ailleurs ; traditionnel, parce que sous toutes ces métamorphoses brille le même esprit méconnaissable en apparence.

Ces évolutions et transformations des choses ont un double caractère qui les rend tout à fait énigmatiques ; elles se présentent d’une manière si imprévue, si brusque, qu’elles surprennent le jugement et déconcertent la raison, et en même temps elles ont une apparence si singulière de simplicité et je dirais presque de bonhomie, que, le premier moment de surprise passé, vous vous étonnez de ne pas les avoir prévues et d’avoir pensé qu’elles pouvaient se produire autrement. Un autre fait non moins frappant, c’est la faci-