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études générales et doué d’une nature moins délicate n’aurait pas sans danger tenté l’épreuve.

La réaction littéraire et morale ne datait encore que de quelques années dans chacun des pays du nord scandinave, et déjà elle avait produit des œuvres d’une incontestable valeur, les poésies d’Atterbom, le célèbre poème de Tegner, la Saga de Frithiof, en 1825, la première partie de l’Histoire de la Suède de Geijer, et enfin, pour nous borner aux principaux monumens, les poèmes et les drames d’Oehlenschlæger. Les deux pays, Danemark et Suède, animés d’un même zèle, marchaient d’un pas à peu près égal; l’inspiration de chacun d’eux était seulement diverse, suivant le génie particulier : ici plutôt épique et dramatique, là de préférence historique et lyrique. Il y avait bien eu, comme en France pendant la période du romantisme, quelques abus excentriques d’un enthousiasme qui s’égarait, il y avait eu des amans fanatiques du moyen âge et des hallucinés; mais, comme en France, une telle crise avait été salutaire à l’esprit public, qui en était sorti régénéré.

Le développement spontané de chacun des peuples scandinaves devait nécessairement, pour premier résultat, mettre bientôt en lumière leur parenté réelle et leur confraternité primitive. A mesure qu’en Suède, en Danemark, ou bien dans la Norvège, à qui son indépendance, confirmée par la constitution de 1814, avait aussi imprimé un nouvel essor intellectuel, poètes, antiquaires et historiens scrutaient davantage les vieilles annales du moyen âge, ils s’apercevaient clairement que les souvenirs nationaux, ceux de l’origine primitive, ceux de l’ancienne religion païenne, étaient communs à tout le nord scandinave. Ces peuples, s’ils n’étaient pas les aînés de la grande famille germanique, s’étaient isolés soigneusement pendant leurs migrations d’Asie en Europe. Loin du contact des tribus qui s’étaient répandues avant eux sur le continent, et longtemps préservés même des influences de la civilisation romaine et du christianisme, ils s’étaient développés ensemble et de concert, croyant aux mêmes traditions et parlant le même idiome.

Les Eddas contiennent un grand nombre de légendes qui montrent les nations scandinaves groupées dans une étroite union. Il y est dit par exemple que le prédécesseur d’Odin, Gylfe, un des premiers souverains de la Suède, fit présent à la déesse Géfion de tout le territoire qu’elle pourrait en vingt-quatre heures entourer d’un sillon. Elle alla donc chercher dans le divin Jötunheim[1] quatre taureaux fils d’un géant; elle les attela furieux au joug d’une charrue dont le soc immense déchirait profondément la terre, elle les dirigea quelque

  1. Séjour des géans suivant la mythologie scandinave.