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croyance ni par sa race, pas plus que l’Espagne n’est africaine pour avoir été une dépendance des Maures. Ses commencemens appartiennent à l’Europe. La royauté lui vint des Normands, la foi religieuse des Grecs; ses métropoles furent alternativement Novgorod, à demi hanséatique, et Kiev, à demi byzantine. Ce n’est qu’après avoir été subjuguée par les hordes de l’Asie qu’elle pencha de ce côté et ne regarda plus de l’autre. Facilement vainqueurs d’un pays morcelé entre les descendans de Ruric, pour le mieux assujétir, les khans assignèrent la prééminence, parmi leurs vassaux, aux princes d’une cité nouvelle que sa situation centrale rapprochait d’eux, aux princes de Moscou, et Moscou se fit un titre de sa suprématie dans la servitude pour fonder la monarchie et revendiquer l’indépendance nationale. Cela fait, les traditions primitives devaient se renouer. Si les Tatars avaient entraîné la Russie vers l’Orient, la rivalité agressive de la Pologne la provoquait à une volte-face. Le tsar Pierre ne fit donc pas violence au cours des choses ; ce qui fut alors réputé extraordinaire fut un retour à l’ordre ancien, déjà tenté par les précurseurs du grand homme; l’entrée de la Russie dans la famille européenne n’était qu’une réintégration. C’est ce mouvement qui se développera par les chemins de fer. Pourtant quelles en seront les conséquences?

Les pronostics sont divers. Selon beaucoup d’esprits pénétrans et graves, il y a lieu de tenir en suspicion perpétuelle un état qui surpasse en étendue le reste de l’Europe, dont le peuplement est prompt, dont l’ambition est notoire, et l’imminence de cette incorporation définitive suscite des craintes et des regrets. — Sans doute, dit-on, ce peuple a préservé l’Occident du dernier débordement de la barbarie, qui s’est amorti dans ses plaines immenses; mais lui-même est resté barbare, et s’il est héroïquement sorti, à l’état de nation, des mains étrangères entre lesquelles il était tombé, ce n’est pas impunément que durant trois siècles il a été retranché de l’Europe. De sa première éducation gréco-normande il n’a retenu que le culte chrétien, et de sa longue éducation tatare il a gardé le régime de la force. Servage sans patronage, féodalité sans chevalerie, despotisme sans tempérament, église plus biblique qu’évangélique et vassale muette du pouvoir impérial, tout en lui a un caractère matériel au-dessus duquel il a peine à s’élever; le sentiment du juste semble ne lui avoir pas été révélé; il met sa passion dans l’utile et son adoration dans la puissance. Son type est Pierre Ier, ce prince qui alliait l’imitation des procédés de la politique moderne à la violence superbe d’un empereur allemand du moyen âge, tout à la fois Colbert, Louvois et Frédéric Barberousse, ne faisant d’emprunts aux nations policées qu’afin de les mieux asservir. Tout dans ce peuple tend à une domination gigantesque. Placé entre l’Europe et l’Asie, il se croit