leur dignité, mais l’Europe ne se trouvera jamais à la merci d’une magnanimité suspecte, parce qu’il y a pour elle une série d’agrandissemens parallèles à ceux de la Russie; devant elle est une carrière où déjà elle occupe des positions; sa marche est toute tracée : elle n’a qu’à suivre sa pente.
À cette heure, la Russie gagne à se recueillir en elle-même; l’Europe se fortifiera en sortant de chez elle. Les migrations barbares sont épuisées, les migrations civilisatrices se continueront d’après une direction nouvelle, et l’espace ne fait pas défaut à l’Europe, autour d’elle ou même à ses portes, si elle tient à ne pas se disperser. Regardons la Méditerranée; l’Angleterre y a ses colonies insulaires. La France a fondé un état sur les côtes de l’Afrique. Est-ce que le reste du littoral, si heureusement exploité par les Grecs et les Romains, sera abandonné à la barbarie par l’Espagne, l’Italie, l’Autriche, puissances méditerranéennes comme la France, et qui, sans avoir à le conquérir, y peuvent implanter des colonies? Ce bassin n’offrira pas perpétuellement le fâcheux contraste du bord septentrional florissant, du bord méridional inculte et dégradé, lorsque la vapeur les rapproche pour une destinée commune. Ce n’est pas tout. Est-ce que l’Occident ne fera rien des deux Turquies? Sans doute ce n’est pas pour d’indignes morcellemens qu’il a arraché l’empire ottoman à la Russie; le partage était la solution de l’Europe divisée, l’intégrité est celle de l’Europe confédérée. Cet empire d’ailleurs mérite l’indépendance, parce qu’il est le foyer d’intelligence et de sociabilité de l’islamisme; mais l’indépendance pour lui ne doit pas consister à se tenir isolé des états qui l’ont pris sous leur sauvegarde; tels ne sont pas ses vœux. Tôt ou tard il se rattachera à l’Autriche par un chemin de fer qui de Constantinople ira sur Belgrade, au Golfe-Persique par un chemin de fer qui de Constantinople traversera l’Anatolie, et suivra la vallée de l’Euphrate jusqu’à Bassora. Le chemin de Belgrade est à l’étude, le chemin de l’Euphrate a été partiellement concédé sur l’initiative de l’Angleterre; le reste viendra. Il y aura donc une grande voie de terre s’étendant de l’Allemagne aux mers de l’Inde, restauration des routes commerciales de l’antiquité, qui partagera avec le canal de Suez le transit de l’Asie. Ainsi, tandis que la Russie se liera au réseau européen par ses voies ferrées, l’empire ottoman se reliera pareillement au même réseau. Le pendant obligé des chemins de fer russes, ce sont les chemins de fer turcs. Les uns se font, les autres se feront. En ce temps de communications rapides, les chemins de fer se croisent avec les chemins de fer, de même qu’au temps de l’immobilité les forteresses s’alignaient face à face. En effet, si jamais la Turquie avait besoin d’être protégée, cette voie de terre, du centre de l’Europe à l’Océan indien, se-