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glomération de contrées et de populations, la plus vaste qui ait jamais existé ; de l’autre, une confédération de nations indépendantes et autonomes, la plus équitablement unie qui se soit jamais édifiée. Ce sera la transformation de l’empire romain : l’Europe est partie de cet empire en ruines ; au bout de dix-huit siècles, elle l’aura reconstitué, par un labeur commun, dans des conditions humaines et dans des proportions supérieures.

Voilà la série des agrandissemens de l’Europe occidentale, sa réponse à la Russie. Si la Russie, par son entreprise actuelle, cherche une revanche, l’Europe a une victoire dont elle profitera ; comme la Russie, elle deviendra moitié européenne, moitié asiatique ; en se contrebalançant, leurs accroissemens matériels garantiront le bon accord ; l’équilibre ne périra pas. Et quand il plairait à certaines imaginations impatientes de se transporter à l’autre extrémité de l’Asie pour découvrir en Chine le nouveau théâtre de la question d’Orient qui vient de se vider en Turquie, théâtre sur lequel se retrouveraient à l’état d’hostilité flagrante la Russie, l’Angleterre et l’Amérique du Nord peut-être, que faudrait-il en inférer ? Eh ! sans doute, puisque l’Europe entière est comme emportée à la régénération de l’ancien continent, la Russie prendra sa part de cette œuvre ; du jour même où elle a dû rétrograder devant Constantinople et les deux Turquies, de ce jour peut-être elle a tourné ses regards vers l’Asie reculée, vers cette masse énorme peuplée de 4 ou 500 millions d’âmes, empire des Birmans, Mongolie, Cochinchine, Chine et Japon, masse encore réfractaire à l’initiation européenne, vers laquelle elle peut se diriger sans sortir de son territoire, en trouvant l’emploi utile de sa force exubérante et en suivant encore dans sa marche l’étoile de Pierre le Grand. Déjà la Chine est en proie à l’une de ces révolutions qui, après bien des péripéties, appellent l’intervention étrangère. Tout présage qu’il y aura là une dernière lutte des civilisations de tous les âges, un choc suprême de l’Asie, de l’Europe et de l’Amérique. Toutefois, si l’ascendant de l’Europe doit s’y établir, la victoire demeurera encore à l’équilibre, qui doit faire le tour du monde jusqu’à conciliation entière des prétentions et des intérêts des peuples ; l’Europe appliquera le principe souverain qu’elle applique depuis trois cents ans : ce n’est rien de plus, ce n’est rien de moins. Cela dit, puisqu’en étendant nos prévisions jusqu’aux bornes du probable, nous pouvons envisager l’avenir avec sérénité, laissons passer ces chemins de fer qui soulèvent tant d’ombrages et de questions, et terminons par des chiffres.

Trop d’élémens nous feraient faute, on se l’imagine bien, pour qu’il nous fut possible d’évaluer le revenu immédiat des chemins de fer russes avec une rigueur mathématique ; dès-lors nous serions