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sont par eux-mêmes qu’un fait secondaire qui se rattache à des phénomènes supérieurs, qui dépendent entièrement de lois plus générales ; mais ces rapports, tels qu’ils sont, tels qu’on les voit chaque jour, ont le singulier avantage de donner la mesure des idées qui règnent, de montrer les tendances d’une société. M. Dupont-White, il nous semble, incline singulièrement vers l’état, en étendant les droits et les limites de son intervention légitime. Ce n’est pas qu’il nie le droit de l’individu, mais il lui donne le rôle subordonné ; il le restreint au domaine privé, le plus souvent il voit en lui plutôt un obstacle au progrès qu’un instrument nécessaire de toutes les grandes choses. M. Dupont-White se donne peut-être assez beau jeu, lorsque, traçant le programme de ce qu’il faudrait faire pour donner satisfaction à l’individu de notre temps, il indique la suppression du budget de l’instruction publique, du budget des cultes, du budget des travaux publics, la suppression de la banque, des offices ministériels, du régime protecteur, des hôpitaux, de la loi sur le travail des enfans, de la loi sur les heures de travail, etc. Il n’en faudrait pas tant. L’individu tel que nous le connaissons n’est pas si difficile, et ceux qui réclament pour lui n’ont pas de si grandes prétentions. Ils demandent simplement que l’état reste ce qu’il doit être, le protecteur et le médiateur de tous les intérêts, l’instrument toujours puissant de la défense nationale, le négociateur de toutes les transactions diplomatiques, le garant de la paix publique, en laissant à l’individualité humaine le droit d’intervenir dans toutes les affaires. Il n’y a qu’à regarder notre temps et à voir ses tendances. Quelle est sa direction ? Ce ne sont point à coup sûr les droits de l’état qui sont en péril. L’état vit, et quand on le menace, quand on l’ébranle, il se relève tout à coup avec une force nouvelle et plus grande. C’est bien plutôt l’individualité humaine qui s’affaiblit et disparaît dans la confusion, et c’est le sentiment individuel qu’il faudrait réveiller en lui montrant ce qu’il peut, ce qu’il doit, et ce qui lui est permis quand l’homme, en exerçant ses droits, obéit à une loi morale supérieure, qui le stimule et le contient à la fois.

Cependant la littérature qui vit par l’imagination, par toutes les facultés créatrices et poétiques, cette littérature se remue, cherche à attester sa présence par une activité apparente et produit peu réellement. Elle souffre d’un mal invétéré et profond : elle semble s’être séparée du sentiment de la vérité morale, de l’observation fidèle et sincère de la vie humaine. Que lui reste-t-il ? Elle en est à l’imitation, ou elle se réfugie dans quelque combinaison dont l’unique originalité consiste à mêler ensemble beaucoup de matérialisme et de vides abstractions qui prennent le nom d’idéal. La littérature romanesque surtout s’agite plus qu’elle ne vit, elle se démène plu& qu’elle ne marche ; elle reprend, en les exagérant, de vieux sophismes et de vieilles peintures qui ressemblent à des fragmens inédits d’autrefois, et c’est ainsi que dans un moment où l’on ne voit naître ni André, ni Colomba, la grande nouveauté est Madame Bovary, œuvre de M. Gustave Flaubert, écrivain de Rouen, puisqu’il est avéré que nous avons aujourd’hui une école de Rouen, comme nous avons eu une école de Marseille. M. Gustave Flaubert est le romancier de cette école de Rouen dont le poète est M. Bouilhet, auteur de Melœnis et de Madame de Montarcy. M. Bouilhet imite M. de Musset dans son poème, l’auteur de Ruy Blas dans son drame ; M. Flaubert imite