des Kœnigsmark, dont l’histoire, ou, si on l’aime mieux, le roman, me passionnait beaucoup à cette époque. Ce fut en paperassant dans les archives de la petite ville de Wolfenbüttel, et en quelque sorte à la cour du duc Antoine-Ulric de Brunswick, l’un des princes allemands du XVIIe siècle qui s’entendait le mieux à tourner un madrigal français, que je fis connaissance d’une grave et plaisante figure de diplomate et de musicien, — Mattheson. Si, au lieu de s’escrimer pendant quarante ans comme il l’a fait sur l’histoire et la théorie de la musique, l’auteur du Parfait Maître de Chapelle eût écrit sur la poésie et les beaux-arts, il aurait peut-être sa place marquée entre Winckelmann et Lessing. Il a appliqué à la musique les grandes facultés de son esprit éminemment initiateur; il a, par une admirable divination des besoins nouveaux, essayé de rattacher au mouvement général des idées un art jusque-là retenu dans les étroites bornes du métier. Et pourtant, si l’on excepte quelques rares savans, tout le monde l’ignore; l’Allemagne, si verbeuse d’ordinaire à l’endroit de ses lettrés et de ses artistes, se tait obstinément sur celui-là. Je me trompe, il existe sur Mattheson (et c’est là tout) quelques pages excellentes de M. Riehl, l’homme le plus épris de curiosités musicales qui se rencontre en ce moment de l’autre côté du Rhin.
Cependant cette individualité si profondément oubliée de nos jours exerça une influence des plus vivaces et des plus remuantes sur son temps, lequel était celui des Haendel et des Bach, celui d’où les Gluck et les Mozart allaient sortir. D’ailleurs il s’en fallait que Mattheson fût seul; les agitateurs de cette espèce ne procèdent point isolément, ils viennent quand l’heure les commande et s’appellent légion. Le croirait-on? A une époque où la production littéraire n’atteignait pas la dixième partie de ce qu’elle est à présent, il se publiait en fait de littérature musicale deux fois autant d’ouvrages que nous en voyons aujourd’hui. Dans cette fulminante polémique qui préparait les voies de l’avenir, Mattheson ne pouvait figurer qu’au premier rang. On le voit dirigeant les uns, combattant les autres, et montrant toujours par quelque endroit, dans ses plus brutales sorties, la puissance et l’élévation de sa nature. C’est ainsi que nous l’entendons, à une époque où les notions les plus frivoles avaient cours, en présence de l’école littéraire de Gottsched et du ridicule engouement où l’on vivait de notre poésie classique, prêcher l’étude de l’histoire nationale et le retour aux grandes origines de l’art. Ceux qui prétendent que la musique n’est qu’un simple amusement des sens, il les renvoie aux Grecs, à la plastique des anciens; il intitule un de ses principaux ouvrages le Patriote musical, et parle de la mission politique et religieuse de l’art en termes où l’homme d’état se trahit presque. N’en est-ce point assez pour inspirer le désir d’aborder de plus près cette physionomie et de voir en même temps se grouper autour d’elle diverses figures de l’époque?
Dès le berceau, Mattheson fut un enfant prodige, autant vaut dire un enfant gâté ; à neuf ans, s’il faut en croire M. Riehl, il enseignait en public, et c’était à qui dans la ville prendrait des leçons du petit drôle. Ainsi, dès sa première jeunesse, se développe chez lui ce besoin de spéculer sur le paraître, cet amour de l’effet, qui caractérise entre toutes la société de ce siècle, fâcheux travers dont il ne sut jamais trop se défaire, et qui du reste ne devait lui porter qu’un assez mince préjudice en des temps où l’on passait très volontiers condamnation sur la moralité d’un homme, pourvu que