Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’objection générale qu’on veut tirer d’un épisode du XIVe siècle il est bien permis d’opposer les vues précises d’un des génies les plus puissans des temps modernes. Au mois de juin 1810, au moment où la Suède, incertaine sur le choix d’un héritier à la couronne, suppliait Napoléon de dicter ou de laisser entrevoir sa volonté, il fut aisé de comprendre, par les observations insérées au Journal de l’Empire, que l’avis de l’empereur et même son secret désir étaient que la diète suédoise votât pour le roi de Danemark et de Norvège. « Une telle réunion, disait notre chargé d’affaires aux députés suédois qui venaient lui demander le mot d’ordre, affranchira votre politique de l’influence russe et votre commerce de l’influence anglaise. Faites taire les préjugés. Formez un seul état dans lequel disparaîtront ces dénominations diverses qui entretiennent parmi vous la discorde et la haine; formez une grande puissance composée de trois peuples unis par les mêmes intérêts... » Un mois après, à la vérité, le chargé d’affaires de France recevait son rappel, mais c’était seulement parce que l’empereur ne voulait pas être engagé publiquement dans un dessein qui devait blesser la Russie. Son génie politique n’en avait pas moins donné raison d’avance aux projets de réunion qui commençaient de germer dans les esprits. Son alliance avec la Russie ne l’empêchait pas d’apercevoir pour la France et l’Europe, comme pour la Scandinavie elle-même, la nécessité d’un fort boulevard contre les envahissemens de cette puissance; au lendemain de Tilsitt, qui avait livré la Finlande, Napoléon voyait sa faute et pressentait Bernadotte.

Ainsi d’une part effort des peuples scandinaves à la fin du XIVe siècle pour résister, en s’unissant, à l’étreinte de l’Allemagne, d’autre part conseil donné à ces mêmes peuples au commencement du XIXe siècle par Napoléon lui-même de s’unir pour résister à la Russie, — ce double témoignage nous autorise à chercher au fond de l’agitation Scandinave des dernières années une pensée politique applicable et sérieuse.

Ne se trouvait-elle pas déjà, cette pensée politique, sous le premier vêtement, en apparence purement poétique et littéraire, de l’agitation scandinave? C’est un des caractères généraux de la rénovation intellectuelle des premières années du XIXe siècle que la littérature n’y apparaît plus comme un amusement inutile, mais comme l’expression la plus élevée du sentiment public, et ne séparant plus le poète du patriote et du citoyen. Interrogée plus attentivement ou mieux instruite de sa dignité et de ses devoirs, la con-