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ait raison, et quelquefois les choses lui paraissent d’autant plus divines qu’elles sont plus moquables.

Mais enfin cette peinture satirique des événemens mêmes qu’il désire est-elle exacte? Pas le moins du monde. En considérant la France vers 1797, il ne s’est point avisé de cette prédiction facile qu’il aurait pu recueillir dans l’histoire, qu’il aurait pu lire dans Platon, savoir que l’anarchie pourrait amener la dictature militaire. Tout le monde alors s’y attendait, M. de Maistre n’y pensait pas. Ce que chacun prévoyait échappait à sa prévoyance, car ce lieu commun eut dérangé ses paradoxes. La république devait en effet périr; mais la monarchie qui lui devait succéder n’était ni la restauration, ni l’ancien régime. L’anarchie devait disparaître sans que la contre-révolution prît sa place, puis à son tour cette monarchie nouvelle devait tomber. Par la révolution? Non, par la guerre. C’est alors, c’est dix-sept ans plus tard que la restauration devait s’accomplir. Et comment? Parce que l’empire aurait abouti à la conquête de la France. Cette restauration, qui devait être amenée comme par hasard et que Dieu devait réduire à un changement subreptice, n’a été possible qu’à la suite d’événemens gigantesques. Il a fallu pour la réaliser des guerres inouïes, des événemens dont les proportions dépassaient tout ce qui s’était vu depuis Charlemagne; il a fallu l’Europe deux fois envahie en sens contraire, par la France de Paris à Moscou, par la Russie de Moscou à Paris, en un mot le bouleversement du monde. Qui ne voit ici que les causes ont été tout autrement grandes que les effets? Quoi de plus complètement différent de ce chapitre ix, où la restauration est donnée comme si rapide et si aisée à faire qu’on dirait qu’elle est pour le lendemain? Et non-seulement aucun des incidens qui, selon M. de Maistre, pouvaient la ramener ne s’est produit, mais encore elle devait être, il n’en doute pas, la contre-révolution, et elle ne l’a pas été. Sans contredit, plus d’un germe de contre-révolution a pu se cacher dans son sein, mais c’est le jour où ces germes se sont développés qu’elle s’est perdue. Elle n’a duré qu’autant qu’elle a démenti son prophète. Voilà soixante-huit ans révolus depuis 89 : où en sont les prédictions politiques de M. de Maistre? On me dira : La révolution n’a pas définitivement triomphé. Soit, mais la contre-révolution encore moins. Il n’a prévalu, ce semble, que cette vérité expérimentale : l’anarchie mène au despotisme, et le despotisme peut ramener à l’anarchie; mais cette vérité un peu vulgaire, M. de Maistre n’en dit mot.

Tout cela ne l’empêchait pas d’écrire en 1814 avec une admirable confiance : « Mes Considérations sur la France, où, par un insigne bonheur, tout s’est trouvé prophétique. » — Comment en serait-il autrement? N’écrivait-il pas longtemps auparavant : « Il y a