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« J’honore la sagesse qui propose un nouvel organe autant que celle qui proposerait une nouvelle jambe. » Voilà comment un écrivain qui appelle Voltaire bouffon comprend et juge un des plus mémorables monumens du génie de l’homme.


IV.

Les croyances religieuses de M. de Maistre sont assurément son meilleur côté, même au point de vue purement intellectuel. Ce sont elles qui donnent du sérieux à son esprit, une certaine règle à son humeur, et qui le retiennent dans le cercle d’un spiritualisme élevé. Sans elles, ce contempteur satirique de la raison humaine tomberait dans un scepticisme moqueur, et peut-être les choses de ce monde ne se montreraient-elles à lui que sous l’aspect qui frappait Voltaire. Ce serait Voltaire avec moins d’amour de l’humanité, avec moins de confiance dans les lumières de la raison. Il n’a déjà que trop de pente à considérer le fait plus que le droit, à s’exagérer la part de la force dans la direction des affaires de la société. Arrachez-lui ce que le christianisme ajoute nécessairement de hautes contemplations et de convictions désintéressées à la considération la plus malveillante et la plus prosaïque des choses d’ici-bas, rompez ce lien qui rattache la terre au ciel, et l’on ne sait vraiment à quelles extrémités d’opinions arides et décourageantes cet esprit dédaigneux et sardonique pourrait être conduit. Déjà même la sincérité de sa foi ne suffit pas pour le préserver du penchant à l’incrédulité et au dénigrement, quand il s’agit de justice, de grandeur, de liberté. Elle ne lui inspire qu’à de longs intervalles le langage communicatif de l’amour et de l’espérance, et il s’amuse trop souvent à rendre impitoyable une doctrine de charité, à diminuer la dignité humaine, comme si la grandeur divine avait besoin de notre petitesse, à prêter aux institutions mêmes et aux puissances qu’il veut sanctifier un caractère d’utilité pratique et d’efficacité oppressive plus fait pour contenter Machiavel que Fénelon. Que serait-ce donc s’il n’avait appris de l’Évangile que l’homme ne vit pas seulement de pain, que la vraie lumière éclaire tout homme venant au monde, et qu’il n’a pas reçu l’esprit de servitude pour se conduire toujours par la crainte?

Aussi n’hésité-je pas à regarder comme son meilleur ouvrage de beaucoup les Soirées de Saint-Pétersbourg. Il semble, en effet, y considérer les vérités religieuses un peu plus en elles-mêmes, un peu moins dans leur influence sur la société. Là elles sont plus des dogmes qui élèvent l’esprit que des moyens de police qui l’intimident. S’il ne parvient jamais à leur prêter l’accent de l’enthousiasme et de l’amour, s’il cherche plus à les rendre extraordinaires que pénétrantes et terribles qu’adorables, s’il donne à l’orthodoxie