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de temps l’âme du parti fédéraliste et son chef dans la chambre des représentans ; il semblait appelé à jouer un rôle important, mais il fut trahi par une santé toujours défaillante. Il donna sa démission de député lorsque Washington quitta le pouvoir, et déclina la présidence de l’université d’Harvard comme une tâche trop lourde pour ses forces épuisées. Il continua pourtant de consacrer à la presse les intervalles de repos que lui laissa la maladie jusqu’à sa mort, arrivée en 1808. J. Quincy Adams et surtout Fisher Ames furent les écrivains du parti fédéraliste, les défenseurs de la tradition puritaine, les adversaires de ce qu’on appelle aux États-Unis, non sans quelque raison, les idées françaises (french opinions).

Quand les hommes éminens, qui faisaient encore de rares apparitions dans la presse, eurent tout à fait renoncé à écrire, le ton des journaux américains descendit au-dessous de tout ce qu’il est possible d’imaginer. Les plus forcenées et les plus ignobles de nos feuilles révolutionnaires en donneraient à peine une idée ; mais les excès qui furent en France l’œuvre de quelques bandits et le produit passager de quelques mois de fièvre furent en Amérique le langage habituel de la presse et formèrent le fonds de sa polémique. On a peine à comprendre comment un peuple civilisé a pu, au milieu d’une tranquillité profonde et d’une prospérité croissante, supporter pendant de longues années, sans un invincible dégoût, un système régulier de diffamation et d’insultes contre tous ses fonctionnaires, tous ses magistrats et tous ses hommes publics. Aucun journal ne résista à la contagion, pas même la Gazette nationale, fondée en Virginie par Jefferson et Madison, et qui passa toutes les bornes dans ses attaques contre Washington et contre les chefs du parti fédéraliste. Néanmoins la palme de l’injure et de la calomnie appartint à un journal de Philadelphie, l’Aurora, rédigé, on a regret à le dire, par le petit-fils et le filleul de Franklin, Benjamin Franklin Bache, dernier et indigne héritier d’un nom glorieux. L’Aurora, publiée sous le patronage de Jefferson, et organe de toutes ses rancunes et de toutes ses passions, prit pour objet de ses attaques incessantes Washington, Jay, Adams, Hamilton, tous les hommes qui faisaient la force et l’honneur de la démocratie américaine. Disons tout de suite que l’Aurora eut le sort qu’elle méritait : elle n’enrichit aucun de ceux qui la rédigèrent. Elle passa des mains de Franklin Bâche en celles de Duane sans devenir plus modérée ni plus prospère, et en 1811, en attaquant avec acharnement Madison et Gallatin, que l’unanimité de la nation allait élever aux fonctions de président et de vice-président, elle se mit en opposition si directe avec l’opinion publique, qu’elle fut l’objet d’un abandon universel. Jefferson essaya de lui venir en aide ; mais ce fut en vain qu’il fit appel à ses amis person-