les chicanes sur la certitude historique, comparée à la certitude des sciences qui se donnent pour positives, s’amoindrissent singulièrement. Il n’y a pas pour les nations qui prétendent à la dignité morale une étude plus profitable que l’étude de l’histoire. Tous ceux qui par leurs efforts accroissent le trésor de nos souvenirs ont bien mérité de la chose publique. M. Poirson, connu déjà depuis longtemps par des recherches persévérantes sur la vie des peuples anciens, s’est détourné de sa route pour concentrer son attention sur le règne de Henri IV. S’il nous arrive de le contredire, nous le contredirons toujours avec déférence : il a recueilli tant de témoignages, que nous ne pouvons pas l’accuser de légèreté; mais il nous permettra de ne pas partager son avis en toute occasion. Nous n’avons pas vécu dans le passé aussi longtemps que lui, et nous ne pouvons pas excuser ce qu’il excuse, admirer ce qu’il admire, sans renoncer à nos espérances.
Les hommes qui veulent toujours garder leur dignité personnelle ont soin de n’oublier aucune des actions de leur vie. S’ils ne les consignent pas dans un journal, ils les gravent dans leur mémoire, et toutes les fois qu’ils ont à prendre une résolution décisive, toutes les fois qu’ils se trouvent en face d’un danger, ils interrogent leur passé comme le guide le plus sûr et le plus fidèle. Ceux qui suivent cette méthode ont rarement à se reprocher une faiblesse qui les oblige à rougir. Ils ne sont pas prémunis contre tout égarement, car s’ils parvenaient à se prémunir contre les périls imprévus sans exception, ils sortiraient de la condition humaine. Cependant, quoi qu’il arrive, à quelque épreuve qu’ils soient soumis, ils portent légèrement le poids de leur conduite, parce qu’ils n’abandonnent rien au hasard. Si les grands événemens du passé étaient gravés dans toutes les mémoires, les peuples ne seraient pas exposés à des changemens de fortune si soudains et si nombreux. Le vœu que j’exprime sera-t-il jamais réalisé? Les peuples arriveront-ils à comprendre la solidarité qui unit entre elles les générations mortes et les générations vivantes? Sera-t-il donné à ceux qui viendront après nous d’interroger le passé de notre pays comme un homme attaché à sa dignité personnelle interroge le souvenir de son adolescence et de sa virilité pour assurer la paix et le bonheur de ses dernières années? Les esprits livrés aux plaisirs du monde accuseront mon vœu de folie et me renverront au pays des chimères. J’ai meilleure opinion de l’avenir, et quoique je n’ajoute pas foi au progrès indéfini de l’humanité, je suis convaincu pourtant qu’un jour viendra où les principes auront autant d’importance que les intérêts. Que ce jour soit près de nous ou loin de nous, c’est une question qu’il ne m’appartient pas de décider, car je n’ai pas entre les mains les élémens d’une solu-