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entre la renaissance, la réforme et l’accroissement de la tyrannie politique ; mais cette contradiction s’évanouit devant la réflexion. Que la renaissance ait préparé la réforme, ce n’est plus aujourd’hui une question. Les Grecs réfugiés en Italie et en France après la prise de Constantinople par Mahomet II avaient préparé les esprits à toutes les hardiesses de la pensée. Dans l’espace compris entre la chute de l’empire d’Orient et les premières prédications de Luther, c’est-à-dire dans l’espace de soixante-quatre ans, l’Europe avait eu le temps de s’habituer à toutes les hardiesses de l’intelligence, ne prenant conseil que d’elle-même, et ne reculant devant les conséquences d’aucun principe. Les quêtes faites par les moines pour l’achèvement de Saint-Pierre, les indulgences promises à la générosité des fidèles, n’ont été que l’occasion et non pas la cause de la résistance opposée à l’autorité pontificale. Lors même que la papauté n’eût rien demandé aux âmes pieuses pour enrichir les églises consacrées à la foi catholique, la liberté d’examen en matière religieuse eût trouvé moyen de se produire.

Le nouvel historien de Henri IV a très bien montré que le XVIe siècle, qui est un siècle de progrès, si l’on ne considère que le développement général de l’esprit humain, est un siècle rétrograde, si l’on s’applique à n’envisager que le développement politique de l’Europe. Il marque avec une précision parfaite l’intervalle qui sépare le domaine des idées pures du domaine des faits. Les grands esprits, qui forment toujours la minorité, les esprits généreux, plus nombreux sans doute, mais qui ne sont pas la multitude, sentaient le besoin de consacrer la liberté de conscience ; mais leur franchise déplaisait au pouvoir établi, car du libre examen en matière religieuse au libre examen en matière politique, il n’y a qu’un pas, et ce pas, il fallait à tout prix empêcher les esprits de le franchir. Les bûchers allumés sous François Ier révèlent assez clairement les inquiétudes, les terreurs du pouvoir. On a dit que la résistance religieuse masquait la résistance de l’aristocratie à la royauté. Il y a dans cette affirmation une part de vérité, et je le reconnais d’autant plus volontiers que cette affirmation s’accorde parfaitement avec la filiation des idées qui ont dominé la seconde moitié du XVe siècle et le XVIe siècle tout entier. Élargissement du champ des spéculations philosophiques, revendication de la liberté de conscience, résistance au pouvoir absolu, trois termes qui s’enchaînent, et qui expliquent très nettement les événemens compris entre les années 1515 et 1589. Sans doute la résistance de l’aristocratie à la royauté a pu s’abriter derrière la liberté de conscience ; mais lors même que l’alliance de la cause politique et de la cause religieuse serait pleinement démontrée, il n’en resterait pas moins avéré que