Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beautés un peu étranges et sans durée, auxquelles il ravit leur premier prestige, pour ne laisser subsister que les saillies inquiétantes et accusatrices, les traits crians, disparates et souvent vulgaires.

N’est-ce point l’histoire de ce talent qui s’est jeté dans la mêlée littéraire de notre siècle sous le nom de George Sand? Peu d’esprits ont eu au même degré que Mme Sand le privilège de captiver les âmes. Elle a été un des poètes de ce temps les plus passionnés et les plus écoutés. Ses inventions et ses peintures ont semblé une révélation du monde intérieur hardiment dévoilé par une main de femme. Tout au plus, en scrutant de près de telles hardiesses, pouvait-on se permettre de répéter à l’écrivain la question que Stenio adresse à Lélia : « Qui es-tu?... A coup sûr, tu n’es pas un être pétri du même limon que nous; tu n’es pas une créature humaine. » Pour ce talent aussi, le temps a fait son œuvre, et en observant cette vie de poète, en rassemblant par la pensée les traits épars dans tant de créations heureuses, on se prend à dire : Ici fut la vive et ardente éloquence d’Indiana et de Valentine, là la grâce élégiaque et touchante de Geneviève et d’André. — Que reste-t-il? Il reste toujours sans doute la même nature qui semble retrouver par instans ses dons merveilleux; mais c’est la même nature, avec ses qualités diminuées et ses défauts exagérés. D’une main qui paraît trop souvent avoir perdu sa puissance, Mme Sand ourdit une multitude d’œuvres de théâtre. Favilla après Claudie, Lucie après Favilla, et Françoise après Lucie, sans compter la pâle imitation d’un des drames romanesques de Shakspeare. Un jour, — il y a plus d’un siècle, il y a un an, — elle déroule cette incompréhensible et insipide vision d’Evenor et Leucippe, qui n’exprime ni un idéal saisissable ni la vérité humaine; hier encore, elle racontait les aventures de la Daniella, une de ces histoires semi-poétiques, semi-sensuelles, qui ne laissent pas de devenir vulgaires en abusant de l’Italie et des filles de la nature. Dans l’intervalle, elle a, elle aussi, ses conversations ou ses divagations autour de la table, moins éloquentes à coup sûr que celles du critique anglais. Dans ces dernières années enfin, Mme Sand a écrit ce livre de ses impressions et de ses souvenirs intimes, — l’Histoire de ma vie, — qui commente, résume et clôt une carrière d’un quart de siècle : livre singulier où l’auteur a résolu le problème de raconter sa vie sans se faire très exactement connaître, mais non sans dissiper beaucoup d’illusions, et en donnant surtout le droit de serrer de plus près ce talent pour lui demander ce qu’il est définitivement, d’où il vient, où il va.

Le nom de Mme Sand se lie à toute une époque qui disparaît déjà derrière nous, à une période de grandes tentatives et de grandes déceptions. Qu’on se reporte un instant vers une heure précise de cette époque si étrangement vivante dans sa confusion, vers 1830 :