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France, d’Horace, du Meunier d’Angibaut, de Consuelo même, où, sauf quelques éclairs, le génie s’obscurcit, parce que les préoccupations de secte et d’école se substituent à la peinture de la vie. Un instant l’auteur retrouve son art savant et délicat dans ces aimables légendes de la campagne dont la Mare au Diable, par sa couleur rustique, par sa grâce reposée et tranquille, est le plus vrai et le plus poétique spécimen. Cette fantaisie de grâce et de simplicité s’épuise rapidement, et Mme Sand, par la plus courte voie, arrive aussitôt à ses derniers ouvrages, les derniers par la date comme par le mérite. Les nuances extérieures du talent ou de l’invention se modifient et se multiplient singulièrement dans ce long travail. Au fond, ne serait-il pas possible de ramener tout ce que Mme Sand a produit à quelques sources habituelles et déterminées d’inspiration, à un petit nombre d’idées qui, rapprochées elles-mêmes des faits, mettent à nu tous les ressorts, tous les mobiles de cette organisation d’artiste?

Mme Sand a été sans nul doute dans notre temps le plus éloquent poète de la passion; elle en a décrit les orages, les combats, les subtilités avec une merveilleuse puissance; elle lui a prêté un langage enflammé digne d’une telle cliente. C’est là peut-être, à vrai dire, ce qu’on pourrait appeler la vocation la plus claire et la plus marquée de son génie. Seulement Mme Sand ne s’est point aperçue que la passion, pour être vraie, a besoin de rester dans les conditions de la vie humaine. Elle est dramatique et touchante parce qu’elle rencontre partout des limites, le devoir, la pudeur, les lois morales, les lois sociales. Le trouble est son essence. C’est une lutte souvent poignante où toutes les âmes ne triomphent pas, où celles qui triomphent souffrent de leur victoire, et où celles qui succombent aiment encore quelquefois leur défaite, sans vouloir s’en faire un titre d’orgueil aux yeux du monde. Cette lutte intérieure, ce duel dans le silence, ce tourment d’un cœur obsédé de tout ce qui lui rappelle que le bonheur au prix d’une faute est une déchéance, ces scrupules de la délicatesse qui hésite et qui tremble, tout cela, c’est la poésie mystérieuse de la passion; c’est ce qui fait qu’elle s’élève au-dessus d’un mouvement vulgaire des sens ou d’une ardeur de tempérament. Si elle se dépouille de cette poésie, si elle s’affiche avec orgueil et ne sent plus le frein des lois morales, ce n’est plus la passion, c’est le vice. Et si elle prétend s’imposer en puissance légitime, transformer sa révolte en vertu pour la plus grande gloire du progrès humain, créer une société nouvelle à son image, ce n’est plus même le vice, c’est l’esprit de sophisme, d’autant plus dangereux qu’il est plus éloquent. Cet esprit est répandu dans les romans de Mme Sand; il s’y déploie avec une effrayante intensité; il est la clé des caractères et le ressort de l’action. La véritable héroïne, ce n’est point Indiana ou