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d’une nature orageuse, la prétention philosophique, et l’esprit d’industrie, qui est venu à son tour se substituer aux élans spontanés de l’imagination, en créant pour le poète une sorte de fécondité factice et vulgaire. Mme Sand a eu pourtant, il y a quelques années, un dernier bonheur d’inspiration : c’est lorsqu’elle a écrit ces séduisantes légendes de la campagne, gracieux épisode de sa vie littéraire qui commence au roman de Jeanne et qui se continue par la Mare au Diable, François le Champi, la Petite Fadette, pour s’arrêter tout à coup.

Parmi les dons que Mme Sand a reçus et dont elle a usé trop souven avec une prodigalité malheureuse, l’un des plus rares peut-être est un sentiment incomparable des beautés naturelles. Même dans ceux de ses romans où le paysage n’est pour ainsi dire qu’un cadre, cet instinct se révèle par des peintures pleines de vérité et de fraîcheur. Mme Sand, elle l’a dit elle-même, a beaucoup vécu à la campagne, dans ces contrées du Berri et de la Creuse qu’elle a chantées, dont elle a si poétiquement décrit les sites; elle n’a eu qu’à rassembler ses souvenirs, à leur donner une forme vivante, et c’est ainsi qu’un jour, après avoir épuisé toutes les ressources de la passion, elle s’est trouvée conduite, ne fût-ce que pour chercher la nouveauté, à un certain genre de littérature qu’elle croit être populaire, qui ne l’est pas à la vérité, mais qui reproduit quelques-uns des aspects les plus séduisans de la vie rustique. S’il fallait absolument choisir entre ces quelques récits pleins d’une saveur agreste et qui ont pu faire croire un moment à l’apparition imprévue d’une pastorale moderne, le plus charmant sans nul doute serait la Mare au Diable, ce petit drame qui commence comme une églogue de Virgile et finit par la description pittoresque des noces de campagne. La scène du labour où l’on voit tout ce mouvement du travail rural et la terre fumante sous la charrue, les perplexités de Germain, le fin laboureur, au moment de mettre un terme à son veuvage pour donner une seconde mère à ses enfans et une ménagère à sa maison, le départ à travers les prés quand le jeune veuf va chercher bien loin une prétendue qui est tout près de lui, cette nuit agitée et chaste passée dans la lande, à la clarté des étoiles, par Germain et la petite Marie, cet amour sérieux et simple si délicatement noué par la main d’un enfant entre le laboureur et la jeune fille, tous ces tableaux, habilement nuancés, sont d’un trait exquis, et abondent en fines observations.

Que manque-t-il donc à ces récits qui ont charmé un instant? Il manque à cette simplicité idyllique d’être vraiment aussi simple qu’elle le paraît. Il faut bien s’entendre en effet : cette littérature peut être populaire et rustique par le paysage, par la couleur pittoresque, par mille détails intimes et familiers de la vie des campagnes; elle ne l’est pas par l’esprit qui circule dans ces pages, par les idées qui viennent se mêler comme une ombre à la grâce descrip-