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Thomas. Un inspecteur de l’enseignement primaire, M. Rapet, est Theureux auteur du manuel d’économie politique préféré par TAcadémie. M. Barrau a été couronné à son tour pour un traité sur le rôle de la famille dans Téducation, et à côté de lui un prix a été réservé à un écrit substantiel de M. Prévost-Paradol, qui a su, dans un petit nombre de pages, rajeunir, animer et colorer ce sujet si vieux et toujours nouveau de l’éducation.

Mais l’influence de la littérature sur les mœurs ! là est, il nous semble, le grand sujet proposé par l’Académie des Sciences morales et politiques. Un esprit grave et ferme qu’on a pu apprécier ici, M. Eugène Poitou, a essayé de tracer ce tableau, et il a écrit un ouvrage qui a été couronné par l’Académie. M. Poitou s’est livré à cette désolante enquête ; il a instruit le procès des productions contemporaines ; il a montré en quelque sorte à l’oBuvre les dépravations licencieuses de l’imagination. Seulement la littérature est-elle la seule coupable ? L’écrivain, l’inventeur a tort sans doute de ne point rester fidèle aux conditions supérieures de son art, et de ne point faire de son talent, quand il en a, l’auxiliaire des idées justes ; mais en même temps la société ne le provoque-t-elle pas ? N’applaudit-elle jamais à ce qui la corrompt et la diffame ? Ne va-t-elle pas battre des mains aux peintures équivoques ? Le succès ne s’attache-t-il pas quelquefois aux œuvres sans goût et sans idéal ? Enfin, au lieu de trouver dans le sentiment public un juge sévère et incorruptible, l’écrivain ne trouve-t-il pas le plus souvent un complice ? Et si quelqu’un osait élever la voix au nom du goût oublié, au nom de l’art méconnu, au nom des lois morales travesties, la société le traiterait peut-être comme un homme à idées fixes, ou plutôt elle ne s’occuperait pas du censeur morose, et elle se remettrait à savourer les exquises corruptions du roman du jour entre la spéculation de la veille et la spéculation du lendemain. Que cet état soit éphémère, on n’en peut douter, et c’est justement dans le tableau tracé par M. Poitou que les écrivains nouveaux peuvent apprendre comment l’art littéraire et la société se relèvent à la fois par un sentiment plus sévère et par un goût plus pur.

Ce n’était là cependant qu’une partie de cette séance académique dont l’un des plus vifs attraits était la lecture de M. Mignet. Le secrétaire perpétuel a lu un éloge de Lakanal, autrefois membre de l’Académie des Sciences morales et politiques, et l’un des acteurs du drame révolutionnaire de la fin du dernier siècle. Est-ce bien un éloge qu’a lu l’autre jour M. Mignet ? C’est du moins un essai substantiel et fin où l’auteur a trouvé quelques traits nouveaux pour peindre encore une fois la révolution française, pour décrire ce torrent qui emportait les hommes et les choses. Lakanal avait eu le malheur de s’associer à bien des actes terribles de cette époque où les hommes furent quelquefois cruels par faiblesse. S’il a mérité d’être après sa mort l’objet d’un éloge au sein de l’Académie, c’est qu’en dehors de certains actes exceptionnels, il fit le moins de mal qu’il put, et cette influence qu’il conservait en se maintenant au niveau des violences du temps, d l’employa souvent en faveur des institutions scientifiques et Jiitéraires ie la France. Il se fit un jour le sauveur des monumens publics livrés à la dégradation ; il fut un de ceux qui contribuèrent le plus à la fondation de l’Institut. L’empire le rejetait dans l’obscurité ; sous la restauration, il allait vivre aux États-Unis, où il se dégoûta un peu de la démocratie américaine. Ce n’est que sous