cette révolution fat si peu poétique ! Elle vengea d’un coup le rimeur allemand, M. Becker, sur le premier poète peut-être de notre temps.
On peut broder aujourd’hui toute sorte de légendes sur l’auteur de la Confession d’un Enfant du siècle. La vérité est que, malgré ses dons rares, Alfred de Musset eut de la peine à se faire jour. Pendant longtemps, il eut à souffrir de ses irrévérences du début et de ses apostrophes à la lune. On ne voulait voir en lui que l’auteur de Mardoche et des chansons andalouses. Il ne trouva pas toujours dans la littérature l’accueil sympathique dû à un tel talent. En 1833, lorsqu’il publiait dans la Revue ses charmans proverbes, les Caprices de Marianne, Fantasio, etc., on s’en souvient ici, il y eut même plus d’un témoignage d’indifférence et de dédain. Les beautés poétiques et émouvantes de ses Nuits, quand elles parurent ici également, n’étaient pas non plus, tant s’en faut, senties par tous. Ses livres alors se répandaient peu, ses comédies paraissaient un jeu futile d’imagination légère, et même lorsque le Théâtre-Français mit la main sur le Caprice, — qui ne fut point rapporté de Russie par une comédienne ingénieuse, comme on l’a dit si souvent, — même à cette époque plus d’un habile se demandait encore si le Théâtre-Français ne courait pas une singulière aventure. Dès 1838, quelqu’un, qui connaissait bien les projets et la valeur du jeune poète, l’avait proposé au Théâtre-Français pour renouveler et fortifier son répertoire : la proposition fut froidement accueillie ; ne fallut-il pas même une modification considérable dans la constitution du Théâtre-Français en 1847, pour mettre à la scène la première comédie jouée d’Alfred de Musset, c’est-à-dire le Caprice ? Ce n’est qu’à dater d’un certain moment que le souffle a changé, que l’auteur de Rolla a trouvé enfin la seule popularité qui convienne à une telle nature de talent, la popularité dans la jeunesse, parmi tous les esprits faits pour goûter les plus exquises délicatesses de la poésie. Alors la mode s’en est même peut-être un peu mêlée, et, comme il arrive souvent, le succès est venu, ce rayon a brillé lorsque ce n’était plus le même homme ni le même poète. Dans ces dernières années, Alfred de Musset avait peu produit. Il avait écrit pourtant, dit-on, un fragment dramatique sur Auguste, et il avait composé une comédie qui devait être représentée à l’époque où la reine d’Angleterre et le roi de Sardaigne vinrent successivement à Paris. Quelque prématurée que soit cette mort, ne pourrait-on dire qu’elle s’adapte assez bien à cette destinée poétique ? Qui pourrait imaginer en effet Alfred de Musset vieillissant ? Lui-même, il se fût accoutumé difficilement à cette idée, et, s’il se taisait depuis longtemps, il ne voulait pas du moins offrir le spectacle d’un déclin. Il semble que ce soit le privilège de quelques êtres d’élite de disparaître dans cette attitude de la jeunesse. Mais laissons là ces conjectures, qu’il ne faudrait pas pousser trop loin ; il est mort, ce charmant génie, et il aurait pu vivre encore, cela n’est point douteux. Il aurait pu vivre s’il n’eût été, comme l’a si bien dit M. Vitet sur son tombeau, une de ces natures venues au monde moins pour se gouverner que pour charmer les hommes. Il a eu des faiblesses, il s’est peut-être trop complu dans cette figure de don Juan si puissamment évoquée par lui : pourquoi mettre du mystère là où il y en eut si peu ? Seulement il faut être sobre envers ceux qui ne font de mal qu’à eux-mêmes par leurs faiblesses ; il en est tant qui ont des vices profitables, — profitables pour eux s’entend, — et qui ne font de mal qu’aux autres !