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vaient qu’à faire entendre leur parole grave et sage pour obtenir une respectueuse obéissance. Aujourd’hui le moindre lettré se regarde comme moralement supérieur à ces hommes sortis on ne sait d’où, et acquéreurs de fonctions qu’ils étaient indignes de remplir. Malgré le caractère dont ils sont revêtus, leur parole est sans force et sans influence, et lorsqu’ils veulent pratiquer leurs exactions, on leur résiste. De là un fait étrange, un nouveau trait qui caractérise tristement cette période de décadence où la Chine est entrée. N’ayant pas de force publique à leurs ordres dans un pays où jusqu’à présent le gouvernement par la violence a été considéré comme un déshonneur, ces indignes magistrats ont employé un de ces expédiens détestables auxquels la tyrannie aux abois a seule recours. On les a vus armer et prendre à leur solde les oisifs, les débauchés, tout le rebut de la population des villes, et leur faire ainsi contracter des habitudes de rapine et de violence dont ils n’ont pas tardé à devenir eux-mêmes les premières victimes.

Les sociétés secrètes enfin ont apporté à l’œuvre de destruction leur contingent de dissolvante et infatigable activité. L’origine de ces sociétés remonte à la conquête tartare, conquête qui a froissé tous les instincts des Chinois. On sait comment elle s’accomplit. C’était en 1644. Une insurrection avait éclaté et menaçait l’empereur dans Péking même. Celui-ci, désespérant trop tôt de sa cause, immole sa fille de sa propre main et se tue. Au même moment, un général fidèle amenait à son secours les tribus mantchoues, qui, bien montées et aguerries, balayèrent l’insurrection devant elles; mais au milieu du désordre, trouvant le trône vacant, les Tartares d’alliés devinrent conquérans. A l’exception de l’île de Formose qui se défendit longtemps, la résistance des Chinois fut à peu près nulle, mais le patriotisme humilié continua à protester sourdement, et de nombreuses sociétés secrètes, toutes dirigées contre la domination tartare, se formèrent et se sont perpétuées jusqu’à nos jours, favorisées par ce goût inné des Chinois pour l’association, qui, appliqué aux arts pacifiques, en fait les premiers commerçans du monde. La plus importante de ces sociétés, celle de la Triade, comprenait de nombreux adeptes, surtout dans les provinces méridionales de l’empire. Ces adeptes, comme dans toutes les associations de ce genre, se promettaient avant tout un secret inviolable, puis aide et secours mutuel, et les engagemens qu’ils avaient ainsi contractés, en rompant ou en affaiblissant leurs liens de famille, en faisaient les soldats naturels des insurrections futures.

Le bon gouvernement des premiers empereurs tartares ne fournit à ces sociétés l’occasion de trahir le secret de leur existence que par quelques actes isolés d’un obscur brigandage; mais lorsque toutes