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Ce péril, nous le croyons, est éloigné encore. Cependant il est impossible de ne pas reconnaître que l’insurrection dont nous venons d’esquisser l’histoire, par son étendue, par sa durée et surtout par son caractère, prépare quelque chose de nouveau pour l’avenir de la Chine. Bien d’autres insurrections, et de victorieuses même, ont éclaté avant celle-Là dans le Céleste-Empire; mais c’était uniquement contre le pouvoir et ses dépositaires qu’elles étaient dirigées, elles n’avaient point pour mobile des idées, et des idées surtout venues de l’Europe : car enfin, malgré tout le grossier mélange par lequel les princes du ciel ont défiguré les dogmes qu’ils ont empruntés au christianisme, malgré l’étrange manière dont ils ont adapté sa morale à leur politique de subversion et de conquête, il n’en reste pas moins vrai que l’unité de Dieu, que la divinité du Christ, que les préceptes du décalogue ont été proclamés par eux et comme inscrits sur leurs bannières, et que ces principes d’une religion nouvelle ont parcouru triomphalement la Chine au milieu des idoles renversées, depuis l’extrémité méridionale du Kouang-sé jusqu’aux environs de Péking. Dans ces doctrines ainsi prêchées par la voix de l’émeute, les populations chinoises ont-elles reconnu quelque chose de la religion divine obscurément et fidèlement pratiquée sur divers points de l’empire et confessée par nos missionnaires, qu’elles ont vus si souvent souffrir et mourir pour elle? L’apostolat mensonger de Hung-tze-tzuen aura-t-il pour effet d’ouvrir une route plus large à ces héros de la charité, pour répandre les véritables enseignemens de l’Evangile? Il serait aussi téméraire de le nier que de l’affirmer, comme aussi il n’est peut-être pas défendu de croire que l’ébranlement violent donné à l’empire par cette dernière insurrection, que l’immense anarchie qui en a été la suite pourraient bien préparer les Chinois à recevoir, avec la civilisation étrangère, des lois plus douces et plus équitables.

Achevons en deux mots ce qu’il nous reste à dire de la situation actuelle des insurgés. Après avoir échoué dans leur marche sur Péking, ils se retirèrent sur le Yang-tze-kiang, et depuis lors ils s’y sont toujours maintenus. Hung-tze-tzuen occupe toujours Nanking, entouré de forces considérables et opposant son gouvernement à celui de l’empereur. En arrière du Yang-tze-kiang, le pays est dans le désordre et la confusion : les troupes impériales sont rentrées en possession du littoral, elles ont repris Amoy et Shanghaï[1], et Canton, où le voisinage des Anglais et la turbulence de la population les forcent d’entretenir une garnison nombreuse, n’est jamais sorti

  1. On n’a pas oublié qu’au siège de cette ville les troupes impériales furent puissamment aidées par les équipages des bâtimens de guerre français la Jeanne d’Arc et le Colbert, engagés dans la lutte à la suite de circonstances qu’il serait trop long de rapporter.