On voit tout de suite la portée de cet acte. Hong-kong a été cédé à l’Angleterre à regret, mais sous l’empire de la nécessité, comme un port de réparation et de radoub. Ce port était excellent, mais l’île elle-même était de peu d’étendue, désolée, stérile, et les Chinois se flattaient sans doute d’y enfermer les Anglais, comme ils l’avaient fait des Portugais à Macao. Ils avaient pris assez aisément leur parti de la voir servir de refuge aux contrebandiers et à toute cette population qui vit de relations suspectes; mais dès le début ils s’étaient montrés inquiets de la pensée qu’il pourrait s’y former une colonie vivant d’un commerce régulier. Aussi, dans le traité additionnel de sir Henry Pottinger, avaient-ils stipulé qu’aucune jonque chinoise n’y serait reçue, si elle ne venait d’un des cinq ports ouverts aux Européens, et si elle n’était munie d’un permis délivré par les mandarins. Ceux-ci se promettaient bien de n’en délivrer aucun, et l’on eût dû le prévoir; mais il en fut de cette clause comme de plusieurs autres, elle ne fut pas observée. Malgré les précautions prises, les Chinois affluèrent à Hong-kong, et la colonie en comptait déjà 60,000 en 1855. Il y avait dans cette agglomération une première source de déplaisir pour les mandarins; ce déplaisir fut augmenté par une ordonnance que rendit le gouverneur sir John Bowring, et par laquelle il autorisait, sous certaines conditions, les Chinois de Hong-kong à posséder des navires pourvus de papiers qui les assimilaient aux navires anglais. Le vice-roi Yeh ne voulut pas reconnaître cette ordonnance, et déjà il en était résulté des conflits entre lui et sir John Bowring avant la collision violente de l’automne dernier. Yeh ne pouvait se résoudre à voir sous ses yeux des navires chinois possédés et montés par des Chinois, et pourtant indépendans de son autorité. Ces Chinois, qu’un trait de plume du gouverneur de Hong-kong a faits Anglais, devaient-ils donc jouir de toutes les Immunités qu’il a fallu accorder aux étrangers, en même temps qu’ils jouiraient de la liberté qu’ont les Chinois de se mouvoir et de se perdre dans la foule? Tour à tour Anglais ou Chinois, selon qu’ils y trouveraient plus d’avantage, ils se soustrairaient ainsi à toute autorité, et ce privilège d’impunité, acheté à deniers comptans à Hong-kong et représenté par un chiffon de papier que tout le monde pouvait imiter, serait nécessairement une source inépuisable de confusion, d’abus et de collisions. À ces raisons il fallait ajouter le dangereux exemple donné aux populations chinoises de chercher des yeux une autorité supérieure à celle du fils du ciel, vers laquelle tous les mécontens pourraient fuir, et qui serait assez puissante pour leur donner les moyens de venir braver impunément l’empereur et ses mandarins sur leur propre territoire. Une telle idée était toute une révolution, et si on la laissait s’accréditer, elle
Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/522
Apparence