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fluens, on ne serait plus séparé de la Chine par l’immense désert de Gobi; on serait à deux cents lieues de Péking par terre, deux cents lieues seulement de pays boisés ou de vallées cultivées. Si enfin un jour la Russie croyait de l’intérêt de sa puissance de prendre aux affaires de Chine une part active, les soldats russes auraient bien vite franchi ces deux cents lieues, et ne tarderaient guère à arriver sous les murs de Péking. Ils auraient pour avant-garde ces cavaliers nomades, frères de ceux qui deux fois déjà, en 1644 et en 1854, ont vaincu les grandes armées chinoises, ces cavaliers dont un officier-général, qui a visité ces contrées il y a peu d’années, disait : « On voit, à leur allure dégagée et guerrière, que ce sont bien les descendans de Gengis-Khan, et que, bien conduits, ils feraient une excellente cavalerie légère. Il faut voir comme ils manient leurs chevaux, comme ils sont lestes et adroits... Ils sont dévoués à la Russie, parce qu’elle les traite bien et qu’ils savent que les Chinois abreuvent leurs compatriotes de dégoûts et d’outrages. Si on le voulait, un grand nombre de Mongols émigreraient en Russie, et si jamais il y a guerre entre les deux empires, ce seraient d’excellens auxiliaires. » En même temps que les soldats russes paraîtraient devant Péking, on verrait sortir des bouches de l’Amoor ces marins dont la dernière guerre nous a appris à connaître la valeur; on les verrait, sur ces mers lointaines, pourvus de ces approvisionnemens inépuisables que la prévoyance ambitieuse des tsars a seule le secret d’accumuler, et une fois à Péking, est-il si difficile de pressentir ce que feraient l’habileté des Russes à s’assimiler les populations conquises, et leur particulière habitude à manier les Orientaux? Quelle moisson à recueillir! Et quelles seraient désormais les limites de la puissance russe si elle venait à s’étendre sur la Chine, sur ses ports, ses matelots et toutes les sources de richesse qu’elle renferme en son sein?

On va nous dire sans doute que ce n’est là qu’un danger imaginaire, et que nous nous amusons à bâtir avec des hypothèses sans fondement un avenir tout fantastique. Reprenons donc notre route sur le terrain solide et sûr de la réalité. S’il faut en croire les récits les plus authentiques, le cours entier de l’Amoor est, à l’heure qu’il est, entre les mains des Russes. C’est dans ses eaux que pendant la dernière guerre se sont retirées cette frégate l’Aurore et cette flottille russe qui ont échappé par des prodiges de courage et d’habileté aux escadres réunies de la France et de l’Angleterre, et lorsque ces escadres, acharnées à la poursuite d’une proie qui leur échappait sans cesse, se sont approchées des bouches du fleuve, elles les ont trouvées garnies de batteries de côte, couvertes de troupes; elles ont entendu prononcer des noms de forts et d’établissemens militaires jusqu’alors parfaitement inconnus, déjà reliés entre eux par