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Civa, le singe Hanouman, allié de Râma, ou bien un lion, un serpent ou un bouquet de feuilles de palmier. La cotte de mailles était connue des anciens Hindous, ainsi que la cuirasse de métal ; ils aimaient à porter des grelots à leur ceinture et même à la poignée de leur cimeterre. Ces formidables armées, qui s’avançaient toujours avec l’espoir de vaincre, fières de leur nombre, tombaient dans un subit abattement dès qu’elles croyaient reconnaître un présage, et il y avait beaucoup d’incidens dans lesquels on voyait un mauvais augure. Le vautour passait-il au-dessus des rangs en jetant son cri, le soleil était-il rouge à son coucher, les chacals faisaient-ils entendre dans le silence de la nuit leurs lugubres aboiemens, une corneille ou un cerf passaient-ils à la gauche de l’armée, un coup de tonnerre éclatait-il dans la nuée, la terre venait-elle à s’agiter, — tous ces guerriers montés sur des chars dorés ou portés sur des éléphans monstrueux, tous ces cavaliers au riche turban, tous ces fantassins à la fine moustache retroussée se prenaient à trembler comme des femmes, et un gémissement douloureux s’élevait à travers le camp. Tous les courages faisaient défaut à la fois, et chacun se disait : Les dieux sont contre nous !

Au moment où la guerre va éclater entre les Kourous et les Pândavas, quand les grandes armées se lèvent et se meuvent sur tous les points de l’Inde, il se fait comme un grand silence autour des rois. L’épopée, qui va s’élargissant toujours, semble s’arrêter dans sa marche pour nous faire assister aux conseils qui se tiennent à Hastinâpoura. Dans le silence de la nuit, Dhritarâchtra, le roi aveugle, se fait expliquer les mystères de la création, les caractères de la révélation védique, ce que c’est qu’un véritable savant selon l’idée indienne, les maux qu’attirent les vices, les fruits que l’on retire des vertus, et enfin ce qu’on doit appeler l’immortalité. Ici apparaît une doctrine nouvelle, la doctrine mystique du djoguisme ou absorption en l’Être suprême par la méditation. En voici les principes fondamentaux : les œuvres ne suffisent pas à procurer aux hommes le souverain bien, car elles exigent un effort qui trouble la parfaite quiétude de l’esprit et de l’âme. Pour parvenir à la vie éternelle, il faut que le voyant, « en silence assis seul à l’écart, ne fasse pas même effort avec la pensée, et ainsi il anéantira en lui les sentimens de joie et de colère que causent l’éloge et le blâme[1]. » Mais ce dieu recherché par le philosophe contemplatif, par le djogui, est-ce Brahme, la divinité impersonnelle ? est-ce Brahma, le créateur ? Les sectaires, avant de le nommer Vichnou, — le dieu aux incarnations multiples qui sauve et conserve, — l’ont désigné par le nom

  1. Chant de l’Oudyogaparva, lect. 44, vers 1 735.