Cependant les rangs de l’armée, composée d’abord de 15 ou 20,000 hommes, grossissaient de jour en jour. Une 4e division avait rejoint le corps expéditionnaire, et déjà une 5e division arrivait. Toutes ces troupes se rendaient successivement à Varna. C’est au fond d’une vallée marécageuse, encadrée par deux contreforts des Balkans, que se dressent les remparts de Varna, dont les Russes se sont emparés en 1828. Cette ville, qui compte 16,000 habitans, a un pied dans un lac immense et l’autre dans la mer. La rade est d’un accès assez difficile; elle offre un port peu sûr et un mauvais mouillage. Dès qu’ils arrivaient, les régimens allaient à huit kilomètres plus loin établir leurs tentes sur le haut plateau appelé Franka, que dominent de plusieurs centaines de mètres des roches escarpées. De ce point, ils surveillaient les défilés des Balkans, et surtout ils échappaient en partie à l’influence délétère des marais, dont les miasmes séjournent dans les bas-fonds.
Bien que l’état sanitaire fût encore satisfaisant, il entrait cependant aux infirmeries un certain nombre d’hommes atteints de fièvres intermittentes, et particulièrement de ces flux intestinaux précurseurs du choléra. Il fallait songer à créer des asiles pour les soldats souffrans : l’autorité ottomane mit à notre disposition une très grande caserne, que nous partageâmes avec les Anglais. On y plaça 700 lits complets. Les bâtimens étaient vieux et en très mauvais état. On se contenta de faire les réparations les plus urgentes. Cet établissement fut conservé pendant toute la campagne pour recevoir directement les soldats évacués de Crimée, et principalement d’Eupatoria. Outre cet hôpital permanent, on créa sur des plateaux élevés plusieurs grandes ambulances, dont deux furent exclusivement réservées aux cholériques de la fatale expédition de la Dobrutcha.
On sait que tout le littoral qui s’étend de Varna au Danube est un pays désolé, couvert de steppes et de marais, dont le voisinage est mortel pendant les grandes chaleurs. Au printemps de 1854, Omer-Pacha disait au commandant Henry, envoyé près de lui à son camp de Chumla : « Si les Russes restent encore un mois dans la Dobrutcha, leur armée sera anéantie; cela équivaudra pour moi au gain d’une grande bataille. » Les terribles ravages qu’avaient exercés dans l’armée russe en 1828 les maladies épidémiques ne pouvaient être entièrement oubliés. C’est sans doute ce souvenir qui avait en partie décidé les généraux russes à quitter la Dobrutcha pour remonter le Danube et se porter sur Silistrie, et qui fit ensuite lever brusquement le siège de cette place après des assauts impuissans, mais non infructueux. La ville, ébréchée de toutes parts, était à la veille de tomber; la vaillance des défenseurs semblait près d’être écrasée par le grand nombre et les efforts désespérés des as-