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obtenir l’exécution rigoureuse de toutes les mesures de prophylaxie. Or je remarquais à chaque instant, en parcourant les bivouacs, que beaucoup de tentes n’étaient pas ventilées, que les vêtemens étaient rarement exposés aux rayons solaires, et que le sol n’avait pas encore reçu le lait de chaux prescrit. Tous les malades non typhiques n’avaient pas encore été évacués sur Constantinople : il en restait environ 2,500. Chaque jour, il se développait en moyenne dans nos ambulances 50 nouveaux cas de typhus sur des hommes entrés pour d’autres maladies. C’était par mois 1,500 malades, dont les deux tiers étaient voués à une mort certaine. Informé par moi de ces regrettables négligences, le maréchal Pélissier rappela à tous les officiers-généraux la stricte nécessité de faire exécuter les mesures prescrites. Des résultats meilleurs se produisirent alors, et le 5 avril le ministre de la guerre m’écrivit : « Je ne vous remercierai plus des soins que vous prenez, du zèle que vous déployez dans l’intérêt de nos pauvres malades; ce serait trop me répéter. »


IV.

La paix vint enfin mettre un terme à nos misères. Les relations entre les armées alliées et les Russes n’avaient pas tardé à s’établir sur le pied d’une entente fort cordiale. De part et d’autre, on fêtait à grand renfort de libations fraternelles la fin des longues souffrances. On voyait bras dessus bras dessous Russes, Français, Anglais, Sardes, chantant, dansant, s’aidant mutuellement à marcher lorsque le verre avait été trop souvent vidé. Quand le vacillement des jambes rendait impossible le départ des visiteurs, on se donnait pour la nuit une mutuelle hospitalité. Le général russe commandant en chef la division campée près de la Belbec me disait à ce propos : « Nous avons dans nos camps depuis plusieurs jours quelques zouaves. Ils s’entendent parfaitement avec nos soldats; à l’aide d’une pantomime fort simple, ils se comprennent à merveille; ils trinquent gaiement. Ces zouaves s’attendent à être punis en rentrant au camp; aussi sont-ils venus me demander une attestation constatant qu’ils ont été si bien reçus, qu’il leur a été impossible de retourner encore à leur régiment. »

Des steeple-chase, des fêtes militaires avaient lieu dans la vallée de la Tchernaia. Le cheval arabe y soutenait sa vieille réputation. En 1856 comme en 1855, il avait mieux résisté aux rigueurs de l’hiver et aux misères des bivouacs que tous les chevaux des autres races. Ainsi se trouvaient justifiées les assertions du général Daumas[1]. Les

  1. On sait que dans diverses études publiées par la Revue des Deux Mondes (livraisons du 1er décembre 1851 et la mai 1853), M. Le général Daumas a le premier fait ressortir les avantages des chevaux arabes comme chevaux de guerre.