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le premier diplomate qui ait donné une consultation sur le malade, comme disait le tsar Nicolas. Frappé de l’épuisement des Turcs, il ne craint pas de dire dès 1623 que le moment serait venu de dissoudre et de partager l’empire ottoman ; « mais cette occasion si favorable, ajoute-t-il avec tristesse, les princes chrétiens, divisés par de misérables intérêts, la laisseront échapper. » Ces détails deviennent encore plus significatifs, lorsqu’on sait que trente-cinq ans auparavant la reine d’Angleterre Élisabeth invoquait humblement le secours de la Turquie contre l’armada de Philippe II. M. Zinkeisen a mis tous ces faits en lumière à l’aide des relations des diplomates, et il a tracé un tableau qu’il est impossible d’étudier sans faire maints rapprochemens avec l’histoire de nos jours.

Pendant que l’Europe prenait ainsi son parti de la présence des Turcs et se félicitait même des services rendus par eux à l’équilibre des états, que devenaient les populations chrétiennes de la Turquie ? C’est là le sujet des études de M. Neigebaur et de M. Siegfried Kapper. M. Neigebaur est un diplomate, un ancien consul de Prusse en Valachie, qui a interrogé les contrées du Bas-Danube, contrées slaves et contrées roumaines, avec une sympathique impartialité[1]. M. Siegfried Kapper a étudié en historien et en artiste les populations gréco-slaves, et surtout les rapports des chrétiens avec les Turcs sur les frontières de l’empire ottoman[2]. M. Neigebaur donne sur les Moldo-Valaques, sur les Serbes, les Bosniens, les Monténégrins, des détails statistiques pleins d’intérêt, et on voit, en le lisant, quelles ressources ces peuples pourraient fournir encore sous une direction intelligente et résolue. Que leur manque-t-il aujourd’hui ? Un homme, un chef, un Étienne le Fort ou un Michel le Brave. M. Siegfried Kapper n’est pas moins intéressant que M. Neigebaur ; il raconte ce qu’il a vu et entendu. Aux bords du Danube et de la Save, en Bosnie, en Bulgarie, il s’est entretenu avec les ratas, il a compris leur misère et recueilli leurs plaintes ; son livre est une enquête fort instructive. Un des passages qui m’ont le plus frappé dans ses récits, c’est une conversation de l’auteur avec un chrétien de Bosnie au moment où l’Angleterre et la France se préparaient à combattre la Russie en Crimée. Le compagnon de voyage de M. Kapper ne comprend rien à une telle expédition. L’écrivain allemand a

  1. Die Sudslaven und deren Laender in Beziehung auf Geschichte, Cultur und Verfassung, von J. T. Neigebaur, 1 vol., Leipzig 1851.
  2. Sudslavische Wanderungen, 2 vol., Leipzig 1853. — Christen und Türken, ein Skizzenbuch von der Save bis zum eisernern Thor, von Siegfried Kapper, 2 vol., Leipzig 1854. — Signalons aussi l’ouvrage d’un touriste anglais connu déjà par d’intéressantes peintures du Caucase : Travels in european Turkey, through Bosnia, Servia, Bulgaria, Macedonia, Roumelia, Albania and Epirus, etc., by Edmond Spencer, 2 vol., Londres 1853.