mait quand l’heure était venue d’exprimer sa volonté. Il disposait si librement de tout ce qu’il avait vu que la nature semblait lui obéir. Il creusait les vallées, il abaissait les montagnes, il attachait au tronc des arbres des branches d’une souplesse inconnue, d’une merveilleuse élégance, et tout cela si simplement que jamais chez lui l’invention ne semble bizarre. Il est trop savant pour étonner; quand il crée, on dirait qu’il se souvient : génie excellent qui a voulu dans la mesure de sa puissance, qui a réalisé tout ce qu’il avait conçu.
Le procédé de Nicolas Poussin, plus savant encore que celui de Claude Lorrain, n’est pas facile à définir. Poussin ne conçoit pas le paysage sans figures : il n’étudie pas la nature, comme le peintre hollandais, pour la corriger, pour l’agrandir en la transcrivant, et j’espère que le mot corriger ne sera pas pris pour une impiété. Il ne se préoccupe pas, comme Claude Lorrain, de la distribution de la lumière. Ce qui domine tous ses paysages, ce qui les explique, ce qui en démontre le mérite infini, c’est l’accord établi entre la nature muette et les personnages. Qu’il s’adresse aux traditions païennes ou aux traditions chrétiennes, il comprend toujours de la même façon, il pratique toujours avec le même respect la loi que je viens d’énoncer. Chez lui, le paysage sans les figures serait vide, les figures sans le paysage présenteraient un caractère incomplet. Qu’on prenne le Polyphème, le Diogène, et l’on pourra facilement vérifier ce que j’avance. Dans chacune de ces trois compositions, la nature muette et les personnages sont unis par un lien tellement indissoluble, qu’il serait impossible de les séparer. Les paysages de Nicolas Poussin n’ont pas autant de réalité que ceux de Ruysdaël, autant de splendeur que ceux de Claude Lorrain. Aussi ne faut-il pas s’étonner qu’il n’ait pas obtenu la même popularité que ces deux maîtres, car il s’adresse, par la nature même de ses conceptions, à des esprits plus délicats. Il n’a pas pour lui le charme de la couleur. Au premier aspect, ses paysages déroutent par leur austérité les spectateurs frivoles; mais si l’on prend la peine de les étudier, la surprise fait bientôt place à l’enchantement. Toutes les parties de chacun de ces poèmes, car le Diogène, le Polyphème, sont de vrais poèmes, sont tellement conçues, tellement ordonnées, qu’elles n’ont pas de valeur absolue. Jamais la théorie du sacrifice n’a été plus franchement acceptée, plus franchement pratiquée. Ruysdaël supprime ce qui lui paraît inutile : c’est un premier pas vers la vérité. Claude Lorrain interroge sa mémoire au lieu de s’en tenir au témoignage immédiat de ses yeux, et compose avant de se mettre à l’œuvre : c’est un second pas plus hardi que le premier. Nicolas Poussin est allé plus loin que Ruysdaël et Claude Lorrain. Il ne s’est pas contenté de supprimer ce qui lui semblait inutile, il ne s’est pas borné à composer