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Son nom éveillait en mon esprit, avant l’instant où je fus appelé à le voir, des souvenirs un peu confus, je l’avoue, mais cependant assez vifs. Je savais qu’il existait en Russie un poète moins correct peut-être que Pouchkine, mais d’une veine plus originale et plus hardie, qui n’avait pas craint, dès ses débuts, de monter sur le trépied où l’on est assailli par ce qu’ont de plus puissant et de plus orageux les souffles de l’inspiration. Polesvoï a écrit de grandes compositions théâtrales où, remontant aux sources mêmes de l’art dramatique, il prend pour matière l’histoire de son siècle, et pour personnage suprême sa nation. Son Incendie de Moscou faisait répandre, il y a quelques années, à un public russe, les larmes qu’arrachaient jadis aux yeux des Grecs la célèbre tragédie des Perses. À ces gigantesques tentatives il a joint maints autres essais. Sa petite pièce, le Troisième Amour, dénote une science singulière du cœur féminin en ce temps-ci. Quelle que soit d’ailleurs la manière dont on le juge, ce qui est certain et ce que je veux uniquement établir, c’est qu’il appartient à cette race d’hommes, en même temps aimée et maudite du ciel, que Dieu répand parmi nous, comme les étoiles dans son firmament, pour briller, mais d’une lumière vacillante, disparaissant dans les tempêtes, pâlissant au passage des moindres nuées, et, alors même que tout est paix et douceur autour d’elles, que l’air est pur et transparent, rayonnant d’une lueur inquiète dont on se sent presque aussi attendri que charmé.

Ne cherchez point en Russie des gens de lettres proprement dits. La classe des génies, tantôt bienfaisans, tantôt malfaisans, qui chez nous ont remué tant de choses, n’existe point dans ce pays-là. Il n’est pas permis à une créature terrestre de s’y faire uniquement esprit. Polesvoï a suivi la carrière des armes que lui imposait la condition où il était né. Il s’est montré un brillant soldat, et cela devait être; malgré l’histoire plus ou moins vraie d’Horace et de son bouclier, un grand poète, j’en suis sûr, sera d’ordinaire un vaillant homme; le même élan arrache à la terre, pour la porter au-devant des puissances inconnues, l’âme valeureuse et l’âme inspirée. Maintenant, d’où venait à notre héros ce nom étrange de Prométhée? D’une fantaisie de son père, le prince Démétrius Polesvoï, qui, semblable à presque tous ceux dont sont nées des créatures de génie, fut lui-même un être tout rempli d’une intelligence puissante et singulière. Admirateur passionné des lettres antiques et particulièrement du théâtre grec, le prince Démétrius, malgré la dissertation de Tristram Shandy, ne craignit pas d’imposer à son fils le nom plein de mystérieuse grandeur qui rappelle les premières et funestes amours de l’âme humaine et de l’idéal.

Il y avait devant Sébastopol un officier d’artillerie dont une hum-