beau jour, en se promenant aux bords des mers, elles se penchent sur l’onde, et les voilà qui disparaissent : c’est ainsi que sont les Parisiennes quand on veut les arracher à Paris. Polesvoï fit toutes ces réflexions sans revenir sur son consentement aux projets de celle qu’il adorait. Il se jeta dans le mariage avec cette mélancolique intrépidité qu’il mettait à se jeter dans toutes les aventures où ses destinées l’appelaient.
Ce fut deux jours après avoir pris solennellement et définitivement Anne pour femme que Prométhée quitta Paris. La cérémonie même de ses noces avait eu le plus triste caractère. Point de mère désolée dont les larmes n’eussent été cent fois préférables à l’expression de maussaderie implacable dont s’était armée Isaure pour conduire sa fille à l’autel. Cependant, lorsqu’au sortir de l’église les deux époux s’enfermèrent seuls dans la vaste maison qu’habitait Anne au fond du faubourg Saint-Germain, un bonheur d’une espèce inconnue s’abattit sur eux. Pour la première fois, ils allaient posséder toute une série d’heures que nul ne songerait à leur disputer. Avec cette sublime imprévoyance des grandes passions, ils contemplaient sans épouvante la terrible séparation qui était au bout de leur joie. Il n’y a que les journées de bataille qui rappellent un peu ces immenses journées des amours heureuses, si rapides et si remplies, qui s’évanouissent comme des minutes pour vous apparaître ensuite semblables à des siècles, tant elles reviennent chargées de souvenirs et projetant une ombre gigantesque sur toute votre vie! Rien ne troubla les parfaites délices de ces momens. Il n’y eut pas entre eux, même à l’état latent, une irritation, une amertume, un malentendu. Dans ce sépulcre où les avaient ensevelis la solitude et l’amour, c’était la vie qu’ils avaient trouvée, la vie dans toute sa plénitude; ils n’avaient plus à réprimer la morsure d’un seul de ces soucis blessans, d’une seule de ces souffrances mesquines, véritables vers engourdis par la corruption humaine pour détruire sur la terre toute félicité que Dieu y laisse tomber. Quand arriva enfin un terrible instant, ils eurent la consolation qu’au lieu d’être chassés de leur paradis, comme tant d’époux, par les dards de mille petits ennuis, ils furent frappés par le glaive d’une grande douleur.
La nuit était déjà tombée depuis une heure quand il lui dit-adieu. Elle était au coin de la cheminée, dans une chambre à laquelle il ne veut plus penser. Il s’arracha tout à coup de ses bras, sortit brusquement, puis, s’arrêtant au seuil même de la pièce qu’il venait de quitter, il l’entendit qui pleurait dans l’ombre. Une porte seule était entre lui et celle dont il s’éloignait pour un temps incertain et inconnu. Il pouvait la revoir encore, tout de suite, par un mouvement aussi rapide que son désir, ou peut-être ne plus la revoir que dans