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MILTON
SON GÉNIE ET SES ŒUVRES



Aux confins de la renaissance effrénée qui finit et de la poésie régulière qui commence, entre les concetti monotones de Cowley et les galanteries correctes de Waller, paraît un esprit puissant et superbe, préparé pour la révolution par la logique et l’enthousiasme, préparé par la révolution pour l’épopée et l’éloquence; libéral, protestant, moraliste et poète; qui célèbre la cause d’Algernon Sidney et de Locke avec l’inspiration de Spenser et de Shakspeare; héritier d’un âge poétique, précurseur d’un âge austère; debout entre le siècle du rêve désintéressé et le siècle de l’action pratique, pareil à son Adam, qui, entrant sur la terre hostile, écoute derrière lui, dans l’Éden fermé, les concerts expirans du ciel.

John Milton n’est point une de ces âmes fiévreuses, impuissantes contre elles-mêmes, que la verve saisit par secousses, que la sensibilité maladive précipite incessamment au fond de la douleur ou de la joie, et que leur tumulte condamne à peindre le délire et les contrariétés des passions. La science immense et la logique grandiose, voilà son fond. L’antiquité sacrée et profane, les langues, l’histoire et les littératures modernes, les sciences nouvelles, l’horrible fardeau de la législation et de la théologie, il a tout porté sans fléchir. Sous ce poids, il s’est trouvé plus fort. Les faits accumulés par l’érudition étaient groupés en lui par la logique. Raisonneur infatigable, il a construit des édifices de démonstrations dont les rudes assises et les solides attaches témoignent d’une énergie qui n’est plus. Sur cette base s’éleva sa poésie. Apercevant des choses mieux ordonnées