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éclairer. « Les prélats, dit-il, sortis d’une vie basse et plébéienne, devenant tout d’un coup seigneurs de palais somptueux, d’ameublemens splendides, de tables délicieuses, de cortèges princiers, ont jugé la simple et grossière vérité de l’Évangile indigne d’être plus longtemps dans la compagnie de leurs seigneuries, à moins que la pauvre et indigente matrone ne fût mise en de meilleurs habits : ils chargèrent de tresses indécentes son chaste et modeste voile qu’entouraient les rayons célestes, et, dans un attirail éblouissant, la parèrent de toutes les fastueuses séductions d’une prostituée[1]. » Les métaphores ainsi soutenues prennent une ampleur, une pompe et une majesté singulières. Elles se déploient sans se froisser, comme les larges plis d’un manteau d’écarlate baigné de lumière et frangé d’or.

Ne prenez point ces métaphores pour un accident. Milton les prodigue, comme un pontife qui dans son culte étale les magnificences, et gagne les yeux pour gagner les cœurs. Il a été nourri dans la lecture de Spenser, de Drayton, de Shakspeare, de Beaumont, de tous les plus éclatans poètes, et le flot d’or de l’âge précédent, quoique apauvri tout à l’entour et ralenti en lui-même, s’est élargi comme un lac en s’arrêtant dans son cœur. Comme Shakspeare, il imagine à tout propos, hors de propos même, et scandalise les classiques et les Français. « Les corrupteurs de la foi, dit-il, ne pouvant se rendre eux-mêmes célestes et spirituels, ont rendu Dieu terrestre et charnel ; ils ont changé son essence sacrée et divine en une forme extérieure et corporelle ; ils l’ont consacrée, encensée, aspergée ; ils l’ont revêtue non des robes de la pure innocence, mais de surplis et d’autres habillemens déformés et fantastiques, de palliums, de mitres, d’or, de clinquant, ramassés dans la vieille garde-robe d’Aaron ou dans le vestiaire des flamines. Alors le prêtre fut obligé d’étudier ses gestes, ses postures, ses liturgies, ses simagrées, jusqu’à ce que l’âme, s’ensevelissant ainsi dans le corps et se livrant aux délices sensuelles, eût bientôt abaissé son aile vers la terre. Là, voyant les commodités qu’elle recevait du corps, son visible et sensuel collègue, et trouvant ses ailes brisées et pendantes, elle s’affranchit de la peine de monter dorénavant au haut de l’air, oublia son vol céleste, et laissa l’inerte et languissante carcasse se traîner sur la vieille route dans le rebutant métier d’une mécanique conformité. » Si l’on ne découvrait pas ici des traces de brutalité théologique, on croirait lire un imitateur du Phèdre, et sous la colère fanatique on reconnaît les images de Platon. Il y a telle phrase qui, par la beauté virile et l’enthousiasme, rappelle le ton de la

  1. C’est au commencement de la guerre civile que Milton écrivait ceci : il n’était pas encore républicain.