siette ordinaire ; vous avez l’air de ne point croire, si vous y restez. C’est la vision qui le révèle, et c’est le style de la vision qui doit l’exprimer. Quand Spenser écrit, il rêve. J’écoute les concerts bienheureux de sa musique aérienne, et le cortège changeant de ses apparitions fantastiques se déroule comme une vapeur devant mes yeux complaisans et éblouis. Quand Dante écrit, il est halluciné, et ses cris d’angoisse, ses ravissemens, l’incohérente succession de ses fantômes infernaux ou mystiques, me transportent avec lui dans le monde invisible qu’il décrit. L’extase seule rend visibles et croyables les objets de l’extase. Si vous me racontez les exploits de Dieu comme ceux de Cromwell, d’un ton soutenu et grave, je n’aperçois point Dieu, et comme il fait toute votre œuvre, je n’aperçois rien du tout. Je juge que vous avez accepté une tradition, que vous l’ornez de fictions réfléchies, que vous êtes un prédicateur, non un prophète, un décorateur, non un poète. Je découvre que vous chantez Dieu comme le vulgaire le prie, suivant une formule apprise, non par un tressaillement spontané. Changez de style, ou plutôt changez d’émotion. Reproduisez en vous-même l’antique exaltation des psalmistes et des apôtres, recréez la divine légende, ressentez l’ébranlement sublime par lequel l’esprit inspiré et désorganisé produit Dieu. Au même instant, le grand vers lyrique roulera chargé de magnificences. Ainsi troublés, nous n’examinerons point si c’est Adam ou le Messie qui parle, nous n’exigerons point qu’ils soient réels et construits par une main de psychologue, nous ne nous soucierons point de leurs actions puériles ou étranges. Nous serons jetés hors de nous-mêmes, nous participerons à votre déraison créatrice, nous serons entraînés par le flot des images téméraires ou soulevés par l’entassement des métaphores gigantesques ; nous serons troublés comme Eschyle, lorsque son Prométhée foudroyé entend l’universel concert des fleuves, des mers, des forêts et des créatures qui le pleurent, — comme David devant Jéhovah, « qui emporte mille ans ainsi qu’un torrent d’eau, pour qui les âges sont une herbe fleurie le matin et séchée le soir. »
Mais le siècle de l’inspiration métaphysique, écoulé depuis longtemps, n’avait point reparu encore. Bien loin dans le passé disparaissait Dante, bien loin dans l’avenir s’enfonçait Goethe. On n’apercevait point encore le Faust panthéiste et la vague nature qui engloutit les êtres changeans dans son sein profond ; on n’apercevait plus le paradis mystique et l’immortel amour dont la lumière idéale baigne les âmes rachetées. Le protestantisme n’avait ni altéré ni renouvelé la nature divine ; conservateur du symbole accepté et de l’ancienne légende, il n’avait transformé que la discipline ecclésiastique et le dogme de la grâce. Il n’avait appelé le chrétien qu’au salut personnel et à la liberté laïque. Il n’avait que refondu l’homme,