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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/903

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Stépane Mikhaïlovitch sera joliment heureux ! » En entendant ces exclamations naïves, la jeune femme riait et pleurait à la fois. Lorsqu’elle reparut dans un élégant costume de ville pour monter en voiture, le concert de louanges qui s’éleva dans la foule était si bruyant, que les chevaux en furent effrayés. Les jeunes mariés donnèrent dix roubles à la commune et se mirent en route.

À peine leur équipage parut-il sur la côte, derrière faire seigneuriale, que les cris : Ils arrivent ! retentirent dans la maison. Tous les domestiques et bientôt après tous les paysans du village se réunirent dans la cour ; les jeunes gens et les enfans coururent au-devant des mariés. Stépane Mikhaïlovitch parut avec sa femme au sommet de l’escalier ; toute la famille se rangea autour de lui. Anna Vassilievna avait une jupe de soie, et elle était coiffée d’un mouchoir de la même étoffe bordé d’or ; elle portait un pain et une salière d’argent ; son mari, qui se tenait à ses côtés avec une image de la Vierge, avait une redingote à l’ancienne mode ; il était en cravate et rasé. L’équipage s’arrêta au bas de l’escalier ; les mariés en descendirent, tombèrent aux genoux de leurs parens, et reçurent leur bénédiction avec les embrassemens de tous les autres membres de la famille. La jeune femme se tourna ensuite de nouveau vers son beau-père ; elle pleurait. Le vieillard lui prit la main, et, l’ayant regardée fixement, ses yeux se remplirent de larmes ; puis il la serra fortement dans ses bras, lui donna un baiser et s’écria : « Dieu soit loué ! Allons lui offrir nos actions de grâces. » Il se dirigea aussitôt, à travers la foule des assistans qui se pressaient sur son passage, vers la grande salle de la maison, en tenant toujours sa bru par la main. Arrivé dans ce lieu, il s’y arrêta avec elle devant le prêtre, qui les attendait revêtu de ses plus beaux habits pontificaux, et le service commença. »


Le moment est critique pour Sofia Nikolaïevna ; elle entre dans une nouvelle famille, et tout va dépendre de l’accueil que lui fera son beau-père. Le vieillard est séduit dès la première entrevue par les grâces et l’esprit naturel de cette jeune femme, qui contraste de toute manière avec son entourage habituel. Les filles de Stépane Mikhaïlovitch comprennent qu’elles ont trouvé une rivale qui ne tardera point à les supplanter tout à fait dans la maison ; elles prennent Sofia en haine. La présence de Stépane Mikhaïlovitch contient seule ce sentiment, qui est sur le point d’éclater atout instant. Aksinia Stépanovna est la seule qui se range du côté de sa belle-sœur. Elisabeta Stépanovna au contraire, femme du général Erlichkine, curieux type de Russe ivrogne et sujet au zapoï[1], Elisabeta lui est hostile, ainsi qu’Alexandra, autre fille de Stépane Mikhaïlovitch, qui trouve moyen de manifester son mauvais vouloir de la plus étrange manière. Sofia et son mari, pendant leur séjour

  1. L’ivrognerie chez certains Russes est une sorte d’affection intermittente. Plusieurs fois par an ils se sentent pris d’un irrésistible besoin de boissons alcooliques. Lorsqu’on refuse de leur en donner, ils entrent le plus souvent dans des accès de rage, appelés zapoï, qui les privent de raison, et cherchent à s’ôter la vie.