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de Derby, le même ministre a persisté dans son étrange appréciation des actes de la France, et cet incident parlementaire a pris en quelque sorte le caractère d’une manifestation destinée à peser sur notre gouvernement. Il nous sera fort aisé de montrer que ni le droit ni les faits ne justifient le langage tenu dans le parlement anglais ; mais, avant d’essayer cette facile démonstration, ne convient-il pas de rappeler que cette pensée de recourir au recrutement africain au moyen du rachat préalable, qui vaut aujourd’hui de si vifs reproches à la France, est une conception d’origine tout à fait britannique et, qui plus est, d’origine abolitioniste ? On la voit en effet naître et se développer dans les nombreuses phases qu’a traversées la question de l’immigration depuis le bill de 1833. C’est d’abord toute une organisation combinée par M. Allen, officier de l’armée navale, abolitioniste fervent, l’un de ceux qui ont le plus payé de leur personne dans les tentatives faites pour la suppression de la traite. Il ne s’agit de rien moins que d’une convention internationale qui chargerait l’Angleterre d’approvisionner de travailleurs noirs tous les pays dont la culture réclame cette catégorie d’immigrans à la condition qu’une abolition générale de l’esclavage suivrait de très près cet immense recrutement. Vient ensuite la propagande entreprise par l’un des partisans les plus considérables de l’abolition. Sir Mac-Gregor Laird, président de la société abolitioniste de Glasgow[1], envisageant la question au point de vue économique, finit par faire prévaloir dans un meeting l’idée que le travail servile doit succomber sous la concurrence du bon marché du travail libre, et que le seul moyen d’arriver à ce résultat, c’est de ne mettre aucune entrave aux recrutemens de la côte d’Afrique. Si le gouvernement ne se rallie pas aux propositions qui lui sont soumises à ce sujet, du moins ne croit-il pas devoir les rejeter d’une manière absolue. Lord Stanley, alors ministre des colonies (le même que nous voyons aujourd’hui, sous le nom de comte de Derby, presser le cabinet whig de ses excitations), « craint de provoquer les soupçons des puissances qui se sont associées à l’Angleterre pour la destruction de la traite ;… il ne pense pas que le moment soit venu de remettre en question le plan que le gouvernement a cru devoir adopter pour les recrutemens : l’épreuve a duré trop peu de temps… » En 1846, le 27 juillet, la question est portée à la chambre des communes avec une grande hardiesse de vues par M. Hume. Il demande la suppression de la croisière des côtes d’Afrique, si coûteusement impuissante pour la répression de la traite, et propose l’organisation, à l’aide de cette économie, d’un vaste système

  1. Le même qui vient de monter à ses frais une nouvelle expédition du Niger.