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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/134

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lui demander conseil, il les fit exécuter chez le préfet. On applaudit à outrance. L’orphelin au piano était si pâle, il avait de si beaux cheveux ! Comment ne pas battre des mains et l’encourager? Des salons de la préfecture, les deux airs, le chœur et le duo firent le tour de Blois, et naturellement Urbain les suivait. De là venaient ces nombreuses invitations qui mettaient le père Noël si fort en colère. On sait comment un beau matin il prit subitement la détermination d’y couper court. Huit jours après le déjeuner auquel Madeleine avait assisté, le père Noël déménagea, emmenant avec lui Urbain. — A la campagne, les distractions ne lui viendront pas de tous côtés, disait-il. Bientôt après, la mère Béru lui confia sa fille pour le temps des vendanges, et le père Noël installa bravement son élève et sa pupille dans deux chambres que la sienne séparait. — Tu as une jolie voix, tu chanteras, disait-il à Madeleine: Urbain est paresseux, il travaillera, reprenait-il, et le grand air vous fera du bien à tous deux.

Si à Blois les relations des deux jeunes gens n’allaient pas au-delà de quelques rencontres et de courts entretiens, à la campagne il en fut bien vite autrement. On se retrouvait à toute heure, on avait mille occasions de se promener ensemble, et il faut ajouter qu’on ne les fuyait pas. Madeleine, qui connaissait l’histoire d’Urbain, s’intéressait à ce pauvre jeune homme si tôt frappé par l’adversité; pour son cœur tendre et ouvert au sentiment de la compassion, il avait le prestige du malheur. Elle le savait seul au monde; dans l’occasion, elle le protégeait avec des grâces de sœur aînée. Maintenant qu’elle le voyait dans une intimité de tous les jours, ce besoin de protection, qui lui était naturel, prenait des proportions plus nettes et des allures plus franches. Il faut dire en outre que le visage d’Urbain avait une expression maladive qui touchait Madeleine. Il n’avait pas besoin de parler : son air de souffrance parlait pour lui. S’il toussait, elle le grondait. S’ils faisaient quelque course ensemble, elle avait toujours sous la main un vêtement chaud pour le couvrir au moment où vient le soir. Le front charmant d’Urbain, tout entouré de longues boucles de cheveux, ne nuisait pas à cette sympathie. Le père Noël, qui avait fait sauter Madeleine sur ses genoux, ne s’était pas aperçu que la petite fille avait grandi peu à peu. Il la laissait donc courir seule par les champs, ne remarquant pas encore que Madeleine avait dix-huit ans et de beaux yeux. Seulement, quand il la voyait sortir avec son élève : — Eh ! petite, criait-il, tu devrais bien dire à Urbain de travailler.

Un jour que Madeleine était près des cuves dans lesquelles les vendangeurs vident leurs paniers, elle vit Urbain porter un mouchoir à ses lèvres après un accès de toux, et le retirer légèrement taché de quelques filets rouges. — Qu’est-ce? s’écria-t-elle. A son