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prière, Paul Vilon, usant de son influence de journaliste, parla au directeur d’un théâtre lyrique et négocia une entrevue entre lui et Urbain. Le directeur accueillit Urbain poliment et lui promit d’examiner le Bouquet de Jacqueline, dont on lui avait dit grand bien.

— Faites mieux, dit Urbain, veuillez me faire l’honneur de venir chez moi ; vous en entendrez les principaux morceaux ; on les exécute après-demain ; M. Paul Vilon assistera à cette réunion.

Le directeur donna une réponse évasive. Urbain comptait néanmoins sur sa présence. Il venait de se mettre en rapport avec un capitaliste qui avait engagé des fonds dans l’exploitation du théâtre. Ce personnage, nommé M. de Béjaud, frisait la cinquantaine ; il avait des prétentions aux belles manières et se vantait de protéger les arts. Urbain l’avait invité à l’audition du Bouquet de Jacqueline, et M. de Béjaud avait daigné accepter, en promettant d’amener le directeur, son ami. Un soir donc, l’appartement de la rue des Martyrs fut éclairé splendidement, et ce qui devait être une audition se changea en une soirée. Le visage de Madeleine témoignait de son inquiétude. Urbain l’embrassa. — Tranquillise-toi, dit-il, je sème pour recueillir.

Quelques amis complaisans, chez lesquels Urbain avait prodigué ses romances, se rendirent à son invitation. Madeleine fit les honneurs de chez elle avec une grâce parfaite. Elle était tout en blanc, sans un seul bijou. M. de Béjaud la regarda beaucoup et complimenta Urbain, qui le plaça près de sa femme pendant le souper. La soirée fut fort gaie ; on but à la centième représentation du Bouquet de Jacqueline.

Urbain ne manqua pas de revoir le directeur. Le vent de l’illusion gonflait de nouveau ses voiles. Cette fois le directeur déclara qu’il était tout disposé à mettre le Bouquet de Jacqueline à la scène ; il aurait préféré cependant une œuvre inédite. Il avait dans ses cartons divers poèmes qui lui paraissaient convenir mieux au talent de M. Lefort. Il verrait lequel de ces poèmes n’était pas promis ; il en connaissait même un en trois actes auquel un auteur habile travaillait en ce moment. Cette réponse était bien vague : le poème en trois actes pouvait ne jamais être fini. Urbain courut chez M. de Béjaud. — Je sais, je sais, dit le capitaliste. Mon cher directeur est fort affairé ; il n’y aurait place pour personne, si on l’écoutait… Entre nous, c’est vrai ; mais vous êtes un de ces hommes qu’on ne fait pas attendre, je verrai le directeur dès ce soir… C’est moi qui serai votre parrain.

Urbain respira.

— Au reste, ajouta M. de Béjaud, nous reparlerons de tout cela. Si vous le permettez, j’irai vous voir.

L’artiste le permit avec ravissement. Sa joie n’avait pas de bornes. Un succès en trois actes lui ouvrait à deux battans les portes de