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une femme du voisinage qui tenait une boutique de passementerie très achalandée. La passementière prit un air pincé en la voyant, et lui fit un petit salut raide. Au milieu de la conversation, qui s’en allait mourant à chaque mot, la mère Béru demanda à sa fille des nouvelles d’Urbain; elle ne s’en souciait guère, mais croyait devoir en parler par politesse. Madeleine devint sérieuse : elle n’en avait pas; il n’écrivait plus; les nouvelles qu’on lui en avait données indirectement ne la rassuraient pas. La voix de la jeune femme tremblait; la passementière la regarda. — Tant pis! murmura-t-elle entre ses dents, je verrai bien si c’est une hypocrite! — Et tout haut elle ajouta : — Ainsi, madame, vous regrettez votre mari... sincèrement? Madeleine l’interrogea des yeux. — Je ne vous comprends pas, madame.

— Eh bien ! reprit la passementière, je vais m’expliquer.

Et tout au long, sans ménager ses expressions, et seulement pour confondre les méchantes langues, avec une grande volubilité de paroles où éclatait sa joie, elle ne cacha rien à Madeleine de ce qu’on disait; elle amplifia même un peu et grossit le mal de quelques bonnes médisances improvisées. En finissant, elle ne respirait plus. Madeleine serrait Louison contre ses genoux comme pour s’en faire un bouclier contre ce déchaînement de propos envenimés d’où suintait la calomnie.

— Le coup est dur, je ne vous en remercie pas moins, et l’avertissement ne sera pas perdu, dit-elle enfin... Quant à me justifier, je n’y songe même pas.

Rentrée chez elle, Madeleine fit prier Paul de la venir trouver sur-le-champ. — Mon ami, dit-elle aussitôt qu’il parut, donnez-moi la main et dites-moi adieu.

— Adieu ! s’écria Paul.

— Oui, et sans hésiter, pas plus que je n’hésite à vous le demander. Ma fille n’a rien que mon nom; il faut que je le lui laisse intact.

Elle lui raconta ce qui s’était passé chez Mme Béru. Paul se frappa le front. — Ah! dit-il, j’aurais dû ne pas venir; voilà que vous allez me haïr !

— Moi, vous haïr! répéta-t-elle.

Elle regarda autour de la chambre, et comme si une idée subite la saisissait, elle courut vers sa fille, l’enleva dans ses bras, et, plus prompte que l’éclair, lui coupa une boucle de cheveux. — Tenez, dit-elle en la donnant à Paul, c’est ce que j’ai de meilleur; ce sera entre nous le signe d’alliance.

Puis, tremblante et bouleversée : — Partez ! partez vite à présent, dit-elle.

Paul obéit ; il descendit vers le quai ; il regardait à toute minute