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ce principe, de l’appliquer aux événemens et d’en déduire de justes conséquences pour conduire le public où l’instinct du pays l’exige, et on le fait ainsi sortir d’un chemin et entrer dans un autre aussi sûrement qu’on fait sortir un homme de sa maison en lui prouvant qu’on y a mis le feu ou qu’elle va s’écrouler sur sa tête.

Si la politique étrangère de la presse anglaise est dominée par un principe inflexible, il en est tout autrement de sa politique intérieure. N’ayant de ce côté aucune maxime invariable à suivre, aucun intérêt permanent à défendre, elle traite chaque question en elle-même avec une entière indépendance. Dans cet heureux pays, il n’y a ni révolutionnaires, ni contre-révolutionnaires ; s’il y a encore des conservateurs et des libéraux, ils ne le sont pas quand même, et il n’est pas de question où les deux partis ne soient exposés à être subdivisés ou confondus. Le Times, qui représente le mieux cet état général de l’opinion, n’est attaché à aucun parti ni à aucun chef de parti. Il prend les questions comme elles viennent, indépendamment de leur origine et surtout de ce que nous appellerions ici leur tendance ; il les prend donc une à une et pour ce qu’elles valent, les discutant d’après les notions les plus simples et les plus communes du bon sens et de l’intérêt public. Vous ne l’entendrez jamais dire, par exemple, que telle proposition, inoffensive en elle-même, est dangereuse à cause du principe qui l’inspire, ou des conséquences qu’on espère en tirer. Il ne prétendra jamais qu’il faut rejeter telle ou telle demande de réforme, parce que c’est le premier signe d’exigences plus grandes, et qu’on doit défendre les abords les plus lointains d’une place assiégée, etc. Cette argumentation, d’un usage si vulgaire sur le continent, ne pourrait s’acclimater en Angleterre. Qu’il s’agisse d’un règlement pour les voitures de place ou de la plus importante réforme qu’on puisse opérer dans l’état, la méthode de discussion sera la même, c’est-à-dire aussi étroite et aussi sûre. Il faudra toujours prouver au public que la chose, considérée toute seule, est en elle-même praticable ou chimérique, utile ou mauvaise. Et si la presse ne sort pas des bornes de cette argumentation si sagement limitée, là encore il faut reconnaître que c’est au bon sens du public qu’on doit en faire honneur, car s’il aimait à généraliser hors de propos et à déraisonner, il saurait bientôt contraindre la presse à l’imiter.

Ce serait une grave omission, même dans cette vue générale de la presse anglaise, que de passer sous silence l’utile contrôle que cette presse exerce sur l’administration de la justice. Tout relève de la presse en pareille matière, les juges aussi bien que l’accusé. La presse s’attache à tirer avec éclat des procès importans les leçons qui peuvent en sortir pour les pouvoirs publics et pour la société.