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n’est pas tout : cette organisation qu’il élaborera péniblement, comment le congrès la réalisera-t-il ? comment en poursuivra-t-il l’application et en maintiendra l’efficacité ? On voit que si les différences d’opinions qui se sont élevées sur les principes ne risquent plus depuis longtemps de dégénérer en conflits européens, les embarras ne laissent point d’exister. Ces embarras disparaîtront sans doute, et lorsqu’un heureux esprit de conciliation aura mis fin à tous ces débats qui se poursuivent depuis plus d’une année, la question d’Orient sera-t-elle résolue ? Elle aura une solution diplomatique actuelle, en d’autres termes elle sera ajournée ; mais aussitôt la Turquie se trouvera en face de tous ses embarras intérieurs, elle sera en présence de ces populations chrétiennes dont elle a promis d’améliorer la condition, et dont aucun gouvernement n’a promis de tolérer l’oppression. Toutes ces difficultés ne tarderont pas à assaillir le cabinet ottoman. Quelque résistance qu’oppose le vieil esprit turc, il faudra bien que cet empire en décadence se tourne résolument vers la civilisation occidentale, non pour lui rendre de vains hommages ou réclamer le secours de ses armes dans les heures de péril, mais pour lui demander son esprit, ses inspirations, ses moyens de régénération. La Turquie aujourd’hui a une occasion de montrer ses dispositions envers l’Europe et d’accomplir un acte civilisateur en sanctionnant le projet du percement de l’isthme de Suez. C’est la question qui s’agite en ce moment à Constantinople ; toutes les puissances sont favorables à cette œuvre ; l’Angleterre seules est montrée hostile au premier abord : il reste à savoir si l’Angleterre n’a point été suffisamment éclairée par son intérêt même sur une entreprise qui, réalisée, eut ouvert une route à ses soldats pour aller étouffer trois mois plus tôt l’insurrection des Indes.

Pour l’Angleterre, cette conflagration de l’empire des Indes est la grande affaire de l’année qui finit, et l’année qui commence voit heureusement l’insurrection à son déclin. Si cette insurrection avait dû réussir, elle eût triomphé dans le premier moment. Dès que les cipayes révoltés laissaient passer cette première heure sans parvenir à rejeter les Anglais hors de l’Inde, ils étaient vaincus. La résistance héroïque de quelques hommes livrés à eux-mêmes en présence de multitudes armées a été la première preuve de la supériorité et de la puissance de l’esprit européen, de la discipline européenne. Matériellement, la prise de Delhi était le signe de la défaite certaine des cipayes ; la délivrance de Lucknow, qu’on connaît aujourd’hui, est le coup fatal porté à l’insurrection. Le général en chef récemment arrivé dans l’Inde, sir Colin Campbell, a conduit lui-même cette opération avec cinq mille hommes. Il est parti de Cawnpore le 9 novembre ; il s’est dirigé sur Allumbagh, d’où il est parti pour Lucknow, qu’il n’a pu atteindre qu’après six jours de marche, qui ont été six jours de combats, et il faut remarquer que ces combats ont été soutenus par les Indiens avec un acharnement qui a surpris sir Colin Campbell lui-même. C’est ainsi qu’ont été délivrés Havelock et Outram, jusque-là enfermés avec leur petite troupe dans la citadelle préservée par leur héroïsme. Delhi était la capitale politique de l’insurrection ; Lucknow était plutôt le foyer militaire de ce mouvement, qui paraît avoir pris naissance surtout dans le royaume d’Oude, le dernier annexé à l’empire britannique. Autour de Lucknow s’étaient accumulées les